ATTENTION : NE LISEZ PAS CETTE CRITIQUE SI VOUS SOUHAITEZ CONSERVER INTACTES LES SURPRISES RÉSERVÉES PAR LE FILM
Bragelonne, avec son récent label Milady consacré à la SFF & F (science-fiction, fantastique & fantasy) et au genre horrifique (la principale différence avec le catalogue traditionnel de l'éditeur reposant sur l'utilisation du format poche et l'édition de licences) déploie les grands moyens en proposant pas moins de huit collections où figurent des novélisations de films à la renommée internationale comme Indiana Jones, Star Trek ou, dans le cas présent, Terminator. Je ne vous ferai pas l'affront de vous résumer les trois premiers films (en réalité, j'avais commencé à le faire, avant d'y renoncer au bout d'une première page d'explications) ; sachez simplement que ce livre est la novélisation du quatrième Terminator, intitulé Terminator Renaissance (Terminator Salvation en VO), et qu'il sortira bientôt sur nos écrans.
Le roman s'ouvre sur une scène assez surprenante : l'exécution par injection létale d'un certain Marcus Whright dans une prison du Texas. Cette fois, pas de voyageurs temporels faisant leur apparition nus comme des vers dans un champ d'éclairs. Sans transition, nous assistons ensuite à un raid aérien mené par la résistance humaine, dans le futur, contre une base souterraine de Skynet. A la tête du commando, un certain John Connor, encore jeune mais pourtant expérimenté dans son rôle de meneur d'hommes.
Première constatation : le style de Terminator Renaissance est à la hauteur d'une novélisation de film ; autrement dit, c'est très mal écrit, parfois à la limite du lisible. Ne vous attendez donc pas à du Frank Herbert. Précisons toutefois que le niveau n'est guère rehaussé par une traduction calamiteuse pourtant rédigée à quatre mains. Pour l'exemple, je ne résiste pas à l'envie de reproduire ici ces deux petites perles : « Comment ça se fait que nous n'étions pas au courant pour tout ça ? » (p.35) ; ou encore : « (...) il se rendit compte que le pilote suspendu possédait soit un timbre de voix inhabituellement aigu, soit de chromosomes différents du sien. » (p.132). Mais l'intérêt de l'objet ne réside pas dans sa forme, vous l'aurez deviné. Soyons honnête : l'unique atout du genre consiste à livrer au fan impatient l'histoire d'un film qu'il ne pourra découvrir avant plusieurs semaines. Cela dit, une novélisation peut parfois réserver de bonnes surprises, quand elle recèle des scènes initialement prévues pour le film et que le spectateur ne verra jamais à l'écran, ou bien alors dans une version extended. Ce fut d'ailleurs le cas dans la novélisation de Terminator 2, écrite d'après le scénario de James Cameron, dont le prologue nous exposait la victoire de John Connor sur Skynet, son entrée dans sa base secrète, et sa rencontre avec Kyle Reese (son père) juste avant qu'il ne l'envoie dans le passé. Une introduction inoubliable fantasmée par tous les fans de Terminator, malheureusement évacuée du film.
Mais revenons à ce Terminator Renaissance, qui présente l'avantage de se lire assez facilement et rapidement sans ennuyer son lecteur, avec ses chapitres courts et son absence de longueurs (la moindre des choses pour un livre tiré d'un scénario). Sur le fond, cette histoire présente également certaines qualités : tout d'abord, son imprévisibilité. Nous comprenons assez vite que le futur auquel s'attendait John Connor a changé, la faute aux multiples fluctuations temporelles provoquées par Skynet et la Résistance. Plus précisément : les événements semblent s'accélérer car les Terminators à peau humaine difficilement identifiables (les T800) figurent déjà parmi les projets en chantier de l'intelligence artificielle, et ce dix ans trop tôt (leur conception implique d'ailleurs l'un des aspects les plus dérangeants de l'histoire : la recherche de peau humaine par les machines, en vue d'améliorer la texture des cyborgs consacrés à l'infiltration). Dans ces conditions, impossible d'être certain de l'issue de la guerre. Autre point intéressant : John Connor n'est pas encore le leader mondial et incontesté de la Résistance mais un simple commandant considéré par certains comme un prophète, en raison de ses étonnantes prédictions toujours confirmées par les faits, et ses supérieurs portent sur lui un regard condescendant dû au passé psychiatrique de sa mère et à ses élucubrations sur les voyages dans le temps. On appréciera aussi la présence de Kyle Reese, au cœur d'un nouvel enjeu : il ne s'agit plus de sauver la mère de John Connor ou John Connor lui-même dans le passé, mais de sauver Kyle Reese dans le présent (notre futur). Nous retrouvons alors un célèbre leitmotiv de la série, le personnage principal s'acharnant à convaincre un monde incrédule de l'importance de sa mission ; mais comment persuader une assemblée de généraux obtus que cet homme doit absolument survivre pour enfanter dans le passé le futur sauveur de l'humanité ?
Venons-en à l'élément le plus intéressant de cette histoire : le personnage de Marcus Wright (au nom ironiquement inspiré du mot « right » : « vrai ») qui, curieusement, vole sans peine la vedette à John Connor. Après son exécution, Marcus se réveille amnésique dans les vestiges d'un monde ravagé par les machines. L'histoire va suivre son parcours, en parallèle des opérations militaires menées par John Connor, pour enfin confronter les deux hommes que tout oppose. Autant vous l'avouer, puisque la bande-annonce vend la mèche : Marcus Wright est en réalité devenu un nouveau modèle de Terminator, le T800, prototype du cyborg incarné par Scwharzenegger à l'écran. Ce personnage hautement dickien en quête d'identité (lui-même ne sait pas s'il a été programmé pour infiltrer la Résistance ou si un dysfonctionnement lui permet de rejoindre leur cause : il ignorait jusqu'à sa nature de cyborg !) va incarner, assez paradoxalement, et comme dans Terminator 2, la seule chance de salut pour John Connor et l'humanité. En cela, cette histoire respecte le « cahier des charges » mis en place par James Cameron, puisqu'une sorte d'union sacrée va se créer entre un John Connor de plus en plus insensible aux horreurs qu'il côtoie et un Terminator qui ne cesse de s'humaniser au contact des hommes.
Difficile de vous en dire plus sans en dévoiler davantage mais cette histoire — dont les qualités sont imputables à ses scénaristes bien plus qu'à l'auteur de ce roman, qui se contente de transcrire paresseusement le script — parvient ainsi à reprendre bon nombre d'éléments de la mythologie Terminator sans présenter de contradictions majeures avec le reste de la saga (malgré certaines incohérences, il faut bien le dire, en contradiction avec la « timeline » que nous connaissions), et en parvenant à être original. Nous sommes donc en présence d'une relecture audacieuse de la mythologie mise en place par James Cameron, et d'une œuvre largement inspirée des grands thèmes de la science-fiction, en particulier par les questionnements existentiels relatifs à l'identité, ou bien encore la prédestination et le libre-arbitre (sommes-nous « programmés » pour accomplir un rôle ?). Cette ambition affichée nous fera d'autant plus regretter une conclusion expédiée à la manière hollywoodienne, qui n'apportera que peu de réponses aux fascinantes thématiques soulevées.
Florent M. (lui écrire)
Première parution : 14/5/2009 nooSFere