Joëlle Wintrebert nous prévient bien en introduction : « paru il y a longtemps chez Rolf Kesselring ». Cette édition-ci pratique donc une sorte de coupe horizontale : les deux intrigues parallèles ont été séparées (au prix d'un peu d'épaississement ici ou là). Et la seconde intrigue sortira plus tard, dans un deuxième volume de la collection, sous le nom cette fois de Bébé-miroir.
Voilà un roman servi par l'actualité : lorsqu'il paru en Ici & Maintenant, nous étions en plein Jeux Olympiques. Et nous voici maintenant en plein procès du doping. C'est bien là toute la subtilité de Wintrebert que de nous parler au futur d'un sujet qui est un des plus important de cette fin de siècle... Le sport est partout : pas d'actualités sans lui, pas de journal sans lui, les retransmissions qui s'imposent à la place du bon film que justement vous vouliez regarder, le prof de gym qu'est décidément trop con, tel sportif qui craque parce qu'il n'est plus un homme mais une machine médiatique, tel autre qui part en vrille parce que les dopings, trop, c'est trop. Le sport érigé en panacée universelle : thérapie, culture, religion, le tout en un seul grand spectacle. Et les magouilles, le fric, toujours le fric. Et les violences, les morts dans les stades, les voyous baptisés “hooligans” par les journaleux français.
L'autre subtilité de Wintrebert, c'est de dire tout ça doucement, généreusement, sans asséner de message. II y a avant tout une histoire : derrière, non, plutôt dedans, sont les idées. On n'en est plus à la SF politique ! On en est à un petit joyau de science-fiction sociologisante, à ranger sans remords à côté des meilleurs Brunner, Silverberg, Spinrad, ceux de la grande époque : spéculative fiction, qu'on appelait ça. Ou à côté des Curval, Pelot ou Jeury, si vous préférez. Parmi les pointures d'une science-fiction plus proche de l'homme que des machines.
André-François RUAUD (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/2/1988 dans Fiction 394
Mise en ligne le : 3/4/2005