AU DIABLE VAUVERT
(Vauvert, France) Date de parution : 27 octobre 2022 Dépôt légal : octobre 2022, Achevé d'imprimer : septembre 2022 Première édition Roman, 432 pages, catégorie / prix : 23,50 € ISBN : 979-10-307-0506-5 Format : 13,0 x 19,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Aventure de science-fiction et exploration philosophique, un roman aussi ambitieux qu’époustouflant par une voix fondatrice de l’afroféminisme.
« J’aime l’écriture d’Octavia Butler pour son refus de la simplification et la finesse des dilemmes moraux auxquels sont confrontés ses personnages. » Ketty Steward
Après un sommeil de plusieurs siècles, Lilith s’éveille à bord du vaste vaisseau spatial des Oankali. Créatures dotées de tentacules, experts en génétique, ils ont sauvé les rares survivants d’une Terre mourante et sont prêts à ramener Lilith et les derniers humains sur leur planète régénérée. Mais la survie a un prix…
« Je la tiens pour une des auteures les plus inspirantes de notre génération. » Virginie Despentes
Romancière et nouvelliste américaine visionnaire, Octavia E. Butler fut plusieurs fois lauréate des prix Hugo et Nebula pour ses fictions, et du prix Genius de la Fondation MacArthur. Elle est prématurément décédée en 2006 à 58 ans.
1 - Marion MAZAURIC, Préface, pages 7 à 18, préface 2 - Fania NOËL, Être woke avec Octavia Butler, pages 417 à 423, postface
Critiques
L'humanité s'est auto-détruite dans une guerre nucléaire. Les rares survivants ont été récupérés par une espèce extraterrestre pacifique, les Oankali, et plongés dans un sommeil artificiel sur un satellite en orbite, en attendant d'être ramenés sur Terre que les Oankali ont restaurée, où ils devront apprendre à survivre dans un environnement à la diversité écologique réduite, sans outils plus élaborés qu'une hache ou un arc et des flèches.
Lorsque Lilith, une Afro-américaine rescapée, s'éveille d'un sommeil de plusieurs siècles, dans le plus total isolement, elle apprend, après une stressante phase d'acclimatation, qu'elle a été soignée d'un cancer et qu'elle dispose désormais d'une longévité accrue. D'autres avantages l'attendent si elle est disposée à s'intégrer. Les Oankali ont en effet développé une biotechnologie aussi performante, voire davantage, que les sciences mécaniques des humains : ils voyagent à bord de vaisseaux vivants et disposent sur leur planète d'habitations aux cloisons modulables à volonté, qui s'écartent au toucher pour délivrer le passage – quand on dispose de la connaissance nécessaire.
Le parcours de Lilith en tant que personnalité élue par les sauveurs passe par plusieurs étapes d'apprivoisement mutuel. D'une part, la familiarisation visuelle et tactile avec des entités pourvues de cils et tentacules faisant office d'organes sensoriels. La répulsion est mutuelle, chacun éprouvant une terreur inexplicable à la vue de l'autre. D'autre part, une intégration dans la société oankali, au sein d'une famille nucléaire, laquelle a une base triple : mâle et femelle ne peuvent se féconder que par l'intermédiaire d'un ooloi, pourvu d'organes supplémentaires spécifiques à la sexualité et à d'autres usages comme le soin.
Lilith n'a d'autre choix que de jouer le jeu, quand bien même elle déteste devenir l'instructrice des gens éveillés après elle : les Oankali sont bienveillants mais obstinés. Non violents, ils requièrent toujours l'accord d'autrui pour toute action ou intervention, et se contentent sinon d'attendre avec une infinie patience le consentement réclamé. Ils n'enseignent que ce qu'ils jugent nécessaire et refusent de répondre sur le reste. Le choix est un leurre : il n'est laissé qu'à ce qui est accordé. Les alternatives, quand elles existent, sont trop risquées pour être préférées. Les motivations des extraterrestres, surtout, demeurent obscures. Ce n'est pas par altruisme qu'ils désirent renvoyer chez eux les humains ayant renoncé à la violence. Leur société basée sur l'échange, notamment biologique, suppose un partenariat qui implique, à terme, la disparition de l'humain, du moins sa métamorphose à laquelle il n'est pas près de consentir.
Sur le thème de l'altérité, Octavia Butler présente une société riche et complexe, et surtout plus subtile que les habituelles confrontations avec des espèces dont on tente de comprendre les mœurs. Il ne s'agit pas d'anthropologie-fiction comme on en en beaucoup lu, ne serait-ce que parce que cette fois l'humain n'est pas dans la situation du scientifique étudiant une espèce, mais dans un état d'infériorité et de dépendance totales. Ici, c'est surtout l'humain qui se voit défini par ses observateurs, qui mesurent sa contradiction fondamentale entre le besoin de hiérarchie dans le groupe et l'intelligence, par essence libre de contraintes. Octavia Butler ne se contente pas d'établir un parallèle avec l'afro-américain plongé dans une société non conçue pour lui à l'origine, elle montre avec une grande finesse psychologique ce que signifie vivre dans un monde dans lequel on en est, par essence, étranger, malgré les efforts d'intégration ou l'adhésion à une culture différente. Elle stigmatise de même la bienveillance de l'espèce dominante, d'un paternalisme intransigeant. Les enfants aussi sont libres mais surveillés à distance et discrètement dirigés, sachant qu'ils ne peuvent se débrouiller entièrement seuls ni comprendre les raisons pour lesquelles leur liberté est limitée. Sur un plan plus large, elle traite des contraintes de la biologie sur l'intellect,
Le roman illustre aussi le concept de la chèvre de Judas, un animal entraîné comme leader pour pousser un groupe à accepter ce qui a été décidé pour lui, le lieu de pâture ou l'abattoir, sans qu'il ne subisse le même sort. Il poursuit une réflexion sur l'humanité dans des directions peu explorées sous cet angle : jusqu'à quel point le fait d'être humain a-t-il une importance ? Qu'est-on prêt à abandonner pour cela, à quoi est-on disposé à renoncer pour garder son humanité ?
La préface de Marion Mazauric, sur le parcours de l'autrice qu'elle a largement contribué à réhabiliter, et la postface de Fania Noël sur la portée du présent roman au sujet de la notion de consentement et de la survie dans un contexte de servitude, donnent quelques clés de lecture supplémentaires. L'Aube est le premier volume de Xenogenesis, une trilogie écrite à la fin des années 80, dont on se demande pourquoi il a fallu près de quarante ans pour la traduire en France.