«Tu représentes tout ce que je hais : le pouvoir de l'argent, la morgue des cadres, leur carriérisme et leur indifférence pour la vie des pauvres bougres qui travaillent sous leurs ordres. »
Cette phrase résonne comme la profession de foi de l'auteur : nous savions déjà que Nicolas Bouchard était particulièrement sensible au sujet des rapports hiérarchiques. Dans L'Ombre des cataphractes, il devient clair que derrière cet intérêt se cache une haine viscérale des comportements de domination sociale.
L'Ombre des cataphractes se singularise de différentes façons : Un voile de mystère entoure la plupart des personnages, moins caricaturaux que de coutume — ils sont plus humains et moins symboliques de leur condition sociale. Le récit de Bouchard n'est pas linéaire et il choisit de nous faire découvrir l'histoire de son héroïne d'une manière plus percutante, en intégrant des flashbacks de son enfance. Et surtout l'humour malicieux, dont il avait toujours teinté ses propos parfois déjà très amers, cède ici le pas à un sarcasme à la limite de la dénonciation directe.
Son roman s'installe dans une époque légèrement postérieure au Réveil d'Ymir. Un conflit d'influence transforme le Système en champ de guerre froide. Il oppose (dit-on) les consortiums, qui ne vivent que par et pour le pouvoir de l'argent, et la Logotharchie, qui se présente comme le dernier rempart contre la toute-puissance des grandes entreprises. Zora avait réussi comme requin de la finance. Elle est aujourd'hui pauvre employée, presque réduite à l'esclavage, dans une usine d'Europa. Pourquoi ? La Logotharchie, qu'elle avait toujours combattue avec l'inaltérable fanatisme de ceux qui ne jurent que par le profit, fait aujourd'hui appel à elle. Pourquoi ?
Ces questions, et d'autres qui s'installent au fil des pages, dépassent par leur portée le cadre de l'intrigue romanesque. Le lecteur s'en rendra-t-il compte ? S'il est un assidu de Bouchard, il ne pourra le manquer. Dans le cas contraire, L'Ombre des cataphractes restera peut-être lettre morte. On ne fait pas connaissance avec Bouchard par ce roman. Car, il faut le reconnaître, la distance temporelle et géographique, typique de ce style de science-fiction, crypte la transmission de son message (altérée de surcroît par le désagrément d'un important nombre de coquilles dans le texte). Mais traduit en bon mainstream, ce roman porte les bases d'une dénonciation dont seuls les Imbus, pour reprendre une expression de Jean-Michel Truong, pourraient manquer l'implication. C'est normal : ce sont eux les accusés, d'un crime qu'ils ont la fatuité de ne pas même reconnaître.
Xavier NOŸ
Première parution : 1/3/2002 dans Galaxies 24
Mise en ligne le : 11/9/2003