FLAMMARION
(Paris, France) Dépôt légal : janvier 2004 Première édition Roman, 400 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 2-08-068390-X ✅
Quatrième de couverture
En cette fin d'année 1908, de sombres nuages s'amoncellent sur l'Europe. Le pouvoir d'Abdulamide II « le sultan rouge » est cerné par la révolution « Jeune Turc » et tous les pays occidentaux se demandent quel camp choisira le Kaiser, allié traditionnel de la Sublime Porte. Tandis qu'à Limoges Élie Goldenzweig, ingénieur en céramique venu d'Allemagne, entreprend un chantier titanesque pour le compte de l'Organisation juive mondiale, Augustine Lourdeix, l'institutrice, qu'il a épousée, se rend à Paris en compagnie de Rachel, la fille d'Élie qui n'accepte pas le mariage de son père avec une « goye ».
Dans la foule d'un grand magasin, Rachel est enlevée. Qui sont les ravisseurs ? Pourquoi son mari lui demande-t-il de ne rien entreprendre et de ne pas prévenir la police ? Augustine, perdue dans une ville qu'elle ne connaît pas, trouvera des alliés inattendus : Eisa, une danseuse de cabaret et son cher inspecteur Soumagnas qui acceptera de sortir de sa retraite de Bussière-Galand pour reprendre du service.
Avec Et le ciel s'embrasera, Nicolas Bouchard achève la trilogie limougeaude commencée par La Ville noire et Monombre s'étend sur vous.
Critiques
Augustine contre-attaque
Augustine Lourdeix, née le 18 octobre 1880 à Limoges est une jeune institutrice qui n'a vraiment pas de chance. Déjà malmenée dans deux romans, La Ville noire (2001) et Mon ombre s'étend sur vous (2002), la voici en 1908 remariée à l'ingénieur Elie Goldensweig dans la dernière aventure d'une trilogie policière dont les récits peuvent se lire indépendamment les uns des autres.
Mais quel passé ce nouveau mari cache-t-il ? Ingénieur chez un porcelainier de Limoges, il accepte un défi fou : réaliser une réplique d'une vasque de légende citée dans la Bible pour le compte de l'Organisation juive mondiale.
Peu après, la fille d'Elie est enlevée à Paris, sous le nez d'Augustine, provinciale égarée. Qui sont les ravisseurs ? Pourquoi Elie demande-t-il à Augustine de ne rien dire à la police ? Les rencontres qu'Augustine fait à Paris sont-elles vraiment accidentelles ?
Les questions ne manquent pas dans ce récit au suspense soutenu. S'appuyant sur une documentation d'époque fouillée (technique de la porcelaine, guide de voyage à Paris), Nicolas Bouchard parvient à donner une épaisseur à son décor. Jusqu'à son style, fait de charme suranné et de naïveté « couleur locale » (parfois un peu excessive).
Une forte rasade de policier, un brin d'histoire, une pincée de Jules Verne, quelques espions turcs et anglais, une goutte d'érotisme, un zeste de Steampunk. Bonne recette pour un dépaysement romanesque.
A priori, il s'agit d'un roman policier historique, dernier tome d'une trilogie mais tout à fait susceptible d'être lu et apprécié séparément si l'on y découvre plutôt qu'on n'y retrouve les personnages d'Augustine Lourdeix et de l'inspecteur Soumagnas. L'action se déroule en 1908, au lendemain de l'affaire Dreyfus et de la séparation de l'Église et de l'État, entre esprit républicain et remugles de l'antisémitisme, à Limoges, ville de la porcelaine, ou à Paris, entre Grands Magasins et Bal Bullier. Avec duel, rapt, enquêtes, confusions quant aux bons et aux méchants, relations difficiles entre une petite fille et sa « marâtre », relations improbables entre une institutrice laïque et humaniste et une danseuse de cabaret, relations aussi entre un homme et son passé occulté. Plus des clins d'œil, comme ce négociant en machines agricoles venu de Montauban aperçu fugacement, qui renvoie au Lino Ventura des Tontons flingueurs...
Bref, du suspense, une intrigue compliquée à souhait, des personnages attachants et fouillés, des retournements, de l'humour, tout ce que l'on peut souhaiter. Même si jusque-là on n'a guère vu de SF. L'affaire semble s'approcher de l'histoire secrète ou de l'espionnage rétrospectif feuilletonesque, avec services spéciaux britanniques, janissaires ottomans et très importante commande passée par Chaïm Weizmann et Edmond de Rothschild — on est dans les débuts du mouvement sioniste. Cela se mélange avec des données techniques sur l'industrie de la céramique, et on retrouve ainsi le charme didactique des romans de Jules Verne. Nous voilà alors du côté d'une forme de rétro-fiction. Et on attend autre chose du fait du zeppelin de la couverture, oscillant entre vraie information et fausses pistes. Sans dévoiler le fin mot de l'intrigue, on peut dire que des brevets d'inventions mènent bien au steampunk et que, l'histoire secrète laissant une trace tangible, on frôle in fine l'uchronie. Ce qui justifie formellement que l'on parle ici de ce livre, d'autant qu'il aurait été déplorable de ne pouvoir le faire, tant Nicolas Bouchard a déjà largement déployé son intelligence et son humour dans le domaine de la pure SF, et tant on a là une lecture des plus bénéfiques, pour l'humeur comme pour les neurones.