Je suppose que, aux termes de la pure logique, ce roman hérissera bon nombre d’amateurs de science-fiction, et qu’ils n’auront pas tort. À tous ceux, donc, pour qui la SF est principalement une littérature de choc, de combat ou d’avant-garde, déconseillons-en la lecture.
Nulle originalité dans les idées et nulle recherche de style, une description des temps futurs peu inventive, un manque total de vraisemblance dans les détails scientifiques : voilà les principaux griefs dont on pourrait dresser la liste et que j’énumère pour mémoire.
Cela étant posé, je n’ai pas l’intention d’attaquer ce livre mais bien plutôt de souligner ce qui en fait le charme. À contre-temps est un roman qui ne pouvait avoir été écrit que par une femme ; et c’est un des rares romans où la SF serve uniquement de prétexte à ce plus vieux des genres romanesques : l’histoire d’amour.
Était-ce bien nécessaire, dira-t-on, de compromettre ainsi la SF avec des ficelles éculées ? Ma réponse est oui. Car Christine Renard, grâce au cadre qu’elle s’est choisi, arrive à renouveler complètement le vieux thème des jalousies amoureuses, des passions orageuses et des amours contrariées.
Cela par le biais d’une idée bien simple : la contraction du temps provoquée par les voyages dans l’espace. Dans ce roman – comme dans bien d’autres ouvrages basés sur le paradoxe de Langevin – les navigateurs spatiaux vieillissent moins vite, ils retrouvent au terme d’un voyage de quelques mois une Terre où se sont écoulées plusieurs années. Ainsi se trouvent entièrement bouleversés les rapports entre les générations.
Et ce postulat permet à l’auteur de nous exposer le plus singulier des chassés-croisés sentimentaux, une situation délicieusement embrouillée, où une jeune fille peut être la rivale malheureuse de sa grand’mère plus jeune qu’elle, prendre comme amant son grand’oncle (à peine plus âgé), s’épuiser en courses à travers l’espace pour se maintenir toujours jeune au diapason de l’homme qu’elle aime, perdre la partie à cause d’un malentendu et se retrouver cent ans trop tard, et finalement rencontrer à l’âge de soixante ans une nouvelle rivale en la personne de sa petite-fille…
Sans doute ne décèle-t-on pas dans ce livre la même poésie évocatrice que dans les nouvelles de Christine Renard publiées par Fiction. Il semble même un peu écrit à la va-vite. Mais sa lecture est bien sympathique. Beaucoup mieux que les romans de Françoise d’Eaubonne, il tend à réaliser la synthèse entre le roman de SF et le roman féminin. Il permet de se poser la question : pourquoi n’existerait-il pas une SF rose – une SF « d’amour » ?
Pierre HALIN
Première parution : 1/12/1963 dans Fiction 121
Mise en ligne le : 23/5/2024