Voici une bien bizarre allégorie, qui ne manquera pas de surprendre, de choquer, voire d'irriter. Une curieuse cuisine érotico-ésotérique, au fumet perverti, a présidé à sa confection. Le piment d'une obsession sexuelle, caractérisée par le masochisme et le complexe de castration, s'y mêle à des relents de magie dont les recettes sont puisées aux sources de l'alchimie et de l'hermétisme. En toile de fond, un symbolisme grouillant, truculent, inspiré par l'univers pictural de Goya et Hiéronymus Bosch.
C'est précisément à une toile célèbre de Goya qu'est emprunté le titre « L'enterrement de la sardine », et c'est le prénom Hiéronymus que porte le héros de l'histoire. Ce héros est un nain, enfermé dans une chambre, où il est visité quotidiennement par deux femmes dont il doit subir les assauts (initiation sexuelle qui se double d'une initiation magique). Entre temps, se déroule sous la fenêtre une interminable procession bouffonne, grinçante, pareille à un cauchemar burlesque. À la fin, le nain, libéré de sa geôle, est invité par un « être aux longs cheveux blancs et au visage pâle » à descendre rejoindre le cortège.
Faut-il trouver des clés ? J'en propose deux. Selon la première, la procession représenterait le monde, et le nain l'homme enfermé dans le carcan de son ignorance ; après avoir été initié à la connaissance, il aurait la faculté d'appréhender le monde, de s'unir à lui. Selon la seconde, plus limitative, l'être aux cheveux blancs serait la mort, et le nain aurait assisté au cortège précédant ses propres funérailles.
Un bref compte rendu ne peut définir le charme de ce livre, lié partie au style, partie à l'imagination visuelle. Le liront ceux qui aiment s'évader du fantastique dans ses représentations courantes, et à qui l'allégorie ni l'érotisme ne disconviennent pas.
Alain DORÉMIEUX
Première parution : 1/12/1961 dans Fiction 97
Mise en ligne le : 19/1/2025