A Vienne, le professeur de Littérature ancienne Michael Langbein et le professeur de Musicologie Mikaal Gunnar-Galen sont conviés au spectacle troublant du prodigieux Obscuro. Ils reconnaissent en cet « illusioniste zen » le tout nouveau chef du département Mathématiques de leur université.
Ce dernier leur révèle être en possession d'un texte mythique, l'Edda originelle, la toute première version de la mythologie islandaise, norvégienne et germanique, qui a inspiré par exemple le cycle wagnérien de L'Or du Rhin. Sur les traces du yéti, Jude alias Obscuro aurait découvert ce manuscrit dans une bibliothèque renfermant tout le savoir du monde, cachée dans un monastère tibétain à l'origine du mythe de Shangri-La, une grotte où une douzaine d'anachorètes — dont Alexandra David-Néel — se nourrissent des coelacanthes qui y prolifèrent encore...
Attention, le lecteur qui espère une fantasy d'aventures où les combats, complots et créatures fantastiques priment sur la réflexion peut d'emblée passer son chemin. La quête à laquelle nous convie James A. Owen est avant tout celle de l'érudition, et les épreuves en sont la découverte d'informations sur l'islandais ancien, la poésie scaldique, l'écriture tibétaine ou la composition du papier tibétain — riche en arsenic — , mais aussi sur la Bible, les civilisations mésopotamiennes, atlantes ou pré-colombiennes, en passant par l'orographie, les mathématiques fractales, la conception du temps, les différents calendriers, etc.
Entre illusions et réalités, entre mythes et Histoire, d'Ymir et Yggdrasil jusqu'au Ragnarok, Owen mène ainsi une réflexion sur la nature de l'univers, qui débouche sur une étonnante « weltanschauung » — « une conception globale du monde » — où le temps comporte des points finaux — des fins du monde — et des zones de transition — des « inversions ». La bibliothèque tibétaine étant située dans la « montagne au cœur de la création », elle figure un point fixe où rien ne change pendant les inversions.
Si « littératures de genres » paraît parfois synonyme de « littératures populaires », Mythworld est un bon exemple d'une fantasy qui se veut littérature savante. Elle sait rester relativement simple à lire car la plupart des informations nous sont exposées sous forme de dialogues, mais les amateurs d'action seront indéniablement frustrés, les conversations d'érudits occupant la plus grande part du roman. Assurément, le rythme n'est pas celui d'un Indiana Jones, pas plus que l'humour n'y pointe son nez.
Pourtant, ce roman touffu et cultivé se montre le plus souvent suffisamment intrigant et passionnant pour n'être jamais ennuyeux. C'est en tout cas une œuvre originale, témoignant d'un univers personnel riche, déjà entrevu dans la bande dessinée Starchild. Voilà qui mérite assurément la découverte pour peu qu'on veuille s'éloigner des sentiers battus.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 9/7/2007 nooSFere