« Bretin et Bonzon déroulent leurs intrigues
d'une plume maligne, aussi machiavélique
qu'imaginative. » L'Express
2014. À travers le monde, des adolescents sont retrouvés morts devant leur écran d'ordinateur. Leur point commun ? Tous ont tenté d'accéder au dernier niveau d'Island, un jeu d'arcane initiatique qu'aucune firme n'a commercialisé, qu'aucun concepteur n'a programmé.
Égaré dans les labyrinthes d'un réseau qui défie les sens et l'entendement, Renzo Sensini, ex-flic d'Interpol en rupture de ban, tente de comprendre les raisons d'une révolution souterraine qui vise les structures de l'ordre établi.
Pendant ce temps, tranquillement installés dans une île aux formes mouvantes qu'aucune carte ne mentionne, d'étranges personnages contrôlent les soubassements du monde. Ils veillent à sa bonne marche et, pour cela, n'hésitent pas à commanditer des assassinats. Il faut bien se prémunir contre les ardeurs et les rêves pernicieux de la nouvelle Génération...
Après Éden et Sentinelle, ce dernier tome de la trilogie Complex clôt une saga policière vertigineuse, et fantastique, qui met à mal le simplisme bien-pensant des théories du complot.
Critiques
On aura attendu cinq ans pour connaître le dénouement de la trilogie « Complex » initiée par Denis Bretin et Laurent Bonzon en 2006. Un lustre entre le cliffhanger de Sentinelle (in Bifrost n°66) et sa résolution dans Génération. De quoi laisser refroidir les charbons ardents sur lesquels on était resté telle une danseuse bulgare. Rappelons-nous, le mystérieux Why, entré en dissidence contre ses partners, avait franchi le Rubicon, déclarant ouvertement la guerre à ses anciens collègues. Mais cet expert en duplicité ne gardait-il pas quelques as dans sa manche ? Dans la partie de poker menteur entamée avec Enzo Sensini, ne s’apprêtait-il pas à rafler la mise sur le dos de l’agent d’Interpol ? À ces questions, Bretin et Bonzon répondent en prenant leur temps. Ils choisissent de décaler l’intrigue, impulsant une ligne narrative supplémentaire portée par de nouvelles voix. Ainsi, Sensini passe au second plan, contraint de solder les comptes avec sa jeunesse militante. Il cède le flambeau à la génération montante. Une jeunesse connectée se composant de gamers, de geeks adeptes des arcanes du réseau.
Génération reprend les recettes éprouvées des deux précédents volets. Une succession de chapitres courts rythme une histoire mariant plusieurs trames. On est baladé de l’Île, lieu de villégiature des partners dont l’évocation rappelle le village du Prisonnier aux États-Unis, via la vieille Europe. Réel et virtuel fusionnent pour devenir le théâtre d’une sorte de réalité augmentée, le niveau ultime d’un jeu massif en ligne où s’affrontent les tenants du pragmatisme et de l’idéalisme. À la différence des auteurs de thrillers bas de plafond, ressassant les mêmes gimmicks et thématiques ad nauseam, Bretin et Bonzon se montrent malins. Ils semblent s’amuser avec les attentes du lecteur, usant des codes du genre, autant qu’ils les détournent, pour accoucher d’une méta-fiction vertigineuse. La génération qui donne son titre au roman est celle de la jeunesse. Force vive et avenir du monde, elle se coltine de manière frontale au réel comme ses prédécesseurs. Contre le carcan mis en place par ses parents, elle ne se résout pourtant pas à rentrer dans le rang, préférant lever les armes de la cyberculture pour agir contre le Complex/système. Loin d’être vaccinée contre les chimères du Grand Soir, elle nourrit encore l’espoir d’améliorer le monde tel qu’il va, ou plutôt tel qu’il va mal. Car même si toutes les utopies passées se sont muées en totalitarisme, si les révoltes juvéniles d’antan ont toutes été détournées de leur objectif initial, récupérées, vidées de leur substance et formatées, la jeunesse ne se décourage pas et reste toujours prompte à s’enflammer pour rejouer le jeu de la révolution contre un monde tenté par la fin de l’Histoire.
Avec humour et un brin de roublardise, Denis Bretin et Laurent Bonzon déroulent le fil des questions. Why ? What ? Where ? When ? Les réponses ne sont pas là où l’on pense. Le Complex n’est pas le pouvoir mais le lieu de la projection de tous les pouvoirs. Et les partners sont les scénaristes d’une tragicomédie où jouent des acteurs de la même étoffe que les songes. Des comédiens dont la vie infime est cernée de brouillard. Eh oui, il fallait bien un final shakespearien pour révéler toute l’ironie de la trilogie, car face aux opérateurs d’un univers sans raison et sans grâce, les hommes ont besoin d’histoires pour continuer à avancer.