Le Los Angeles de Blade Runner ? Un havre de paix bucolique à côté de celui qui attend E. Allen Limmit quand il quitte l'Unité de ponte de Phoenix — où les poules sont des poules au sens large du terme — pour rencontrer le célèbre docteur Adder.
Sur l'Interface, c'est la guerre ouverte entre les macs du psycho-chirurgien, qui modèle physiquement les prostituées de la ville au gré des fantasmes les plus profonds de leurs clients, et les Forces morales de l'évangéliste vidéo John Mox. Dans les égouts, c'est la chasse aux fils prodigues, traqués par les pères de famille qui ont une façon bien à eux de tuer le veau gras pour fêter leur retour.
Un livre terrible, cru, provocant, dont Philip K. Dick dit, dans une postface datée de 1979, le bien immense qu'il en pense.
L'auteur
C'est en 1972 qu'un étudiant apportait à Dick ce manuscrit dont il était lui-même l'un des personnages et le père spirituel. Ni son intervention ni la force prémonitoire de l'œuvre, que Norman Spmrad considère comme le premier roman le plus puissant écrit depuis la fin des années 60,n'ont pu vaincre les réticences et les craintes de l'édition américaine qui a attendu 1984 pour oser le publier.
Critiques
L'illustration de couverture, qui renvoie au pop art des années 60 — on pense à un mauvais Lichenstein — est totalement inadéquate au texte. L'ouvrage est totalement inclassable. Il avoue certes une filiation dickienne (double : manuscrit présenté à Dick et soutenu par lui, postface de Dick — et présence de KCID, mais n'a rien à voir avec les textes de Dick. Sauf peut-être une fascination pour les villes de type LA que les décors de Blade Runner (le film) transposaient. D'où l'« Interface », qui est à la fois topographique et mental-renvoi à des civilisations consommatrices de drogue, au point que tout est drogue, y compris les photos à obsolescence rapide. Par la création d'un univers simulacre où le fantasme et la réalité sont unis dans des rapports neufs. Il y a une référence dickienne. Mais ce qui lui appartient en propre c'est le côté sadomasochiste. Où Dick reste du côté de la psychose, et de l'angoisse devant l'impossible saisie de la réalité (impossibilité de la symbolisation). Jetter est dans la mouvance de l'hystérie, du voyeurisme, de l'exhibitionnisme etc. En soi c'est une variation intéressante. De plus il est difficile de juger l'originalité d'un univers quand d'un côté il se trouve les 50 romans de Dick, de l'autre, celui-là seul. Souhaitons d'autres textes de cet auteur difficile, souvent hallucinant, mais qui abuse parfois de facilités. L'histoire ? Une quête du père, de la réalité, avec une référence (inconsciente ? a travers les fantasmes de Dick ?) au Van Vogt du Monde des A.
« Et cette chose, c’est ce que vous avez entre les mains : un exemplaire de son chef-d’œuvre, Dr Adder. » Philip K. Dick
Merci aux éditions ActuSF pour avoir eu le judicieux cou rage d’enfin rééditer le fabuleux Dr Adder de K. W. Jeter. À une époque où Cinquante nuances de Grey se vend par millions d’exemplaires tandis que le féminisme s’affirme à la force de sa volonté, publier ce roman où le personnage principal ampute les prostituées à tour de bras pour les rendre plus désirables sur le trottoir témoigne d’une certaine audace. Mais avoir un des rares classiques ayant conservé toute sa force à son catalogue semble une stratégie judicieuse et honnête.
Certes, la couverture claque moins que la trashissime starlette amputée d’Elrik décorant le « Présence du Futur » n° 409 de l’édition 1985. Et la postface de Dieu Philip K. Dick manque cruellement malgré toutes les mauvaises bonnes excuses qu’on imagine aisément. Mais le lecteur pourra se délecter des travaux de l’érudit et sémillant René-Marc Dolhen, qui apportent un réel plus à la présente édition. Outre une post-face, une bibliographie aussi sélective que copieusement annotée et une seconde bibliographie plus exhaustive, M. Dolhen sert comme sur un plateau une interview inédite de l’auteur.
« Dr Addern’est pas cyberpunk, aucun de mes écrits ne l’est, d’ailleurs. » K.W. Jeter
Et ceci n’est pas une pipe ! Le refus de paternité catégorique de l’auteur ne doit pas tromper le lecteur. Dans Dr Adder, on trouve presque tout ce que le mouvement de Gibson et Sterling développera : des anti-héros (Adder, Limmit) et des organisations titanesques au pouvoir écrasant (les Forces morales du télé-évangéliste John Mox) se combattant dans différentes couches de réalité, qu’elles soient propres à un état de perception altérée ou qu’elles résultent d’une fusion de l’humain à la technologie.
« Considérez-vous comme prévenu, ce livre vous prend à l’estomac. » Philip K. Dick
Malgré toute la violence à laquelle nous nous accoutumons plus ou moins bien aujourd’hui, près de quarante-quatre ans après son écriture, la lecture de Dr Adder demeure un électrochoc cérébral à la fois douloureux et jouissif, un type d’objet littéraire que l’on trouve trop rarement au sein de la surproduction actuelle, une œuvre séminale comme on n’en fait presque plus.
Pour les râleurs, reste toujours la possibilité de se fabriquer soi-même une édition « intégrale ». En voici la recette : découper la couverture ainsi que les pages 243 à 247 de l’édition « Présence du Futur ». Coller les bords gauche et bas de la couverture « PdF », et uniquement ces bords, sur ceux du verso de la couverture de l’ActuSF. Agrafer les pages 243 à 247 et placer l’ex-libris constitué par les deux couvertures accolées. Éventuellement, confectionner un bandeau rouge avec la mention « édition intégrale ».
Ainsi, plus personne n’a d’excuse pour passer à côté du Dr Adder sans le lire.
Grégory DRAKE Première parution : 1/4/2015 Bifrost 78 Mise en ligne le : 18/11/2022