En dépit d'une bonne demi-douzaine de livres publiés en France, les frères Strougatski continuent de ne susciter que fort peu de réactions. Trop peu, serait-on tenté de dire au vu de leur talent et de l'originalité en demi-teintes de leur œuvre — talent et originalité que Le scarabée dans la fourmilière confirme amplement.
La difficulté de ce livre, ainsi que des livres précédents de cet auteur bicéphale, c'est qu'il est impossible à raconter sans gâcher la majeure partie de son efficacité littéraire. L'histoire est lâchée par bribes, racontée en pointillés. Chacune des scènes en retire un ton étrange, à l'humour subtil. Le lecteur aborde l'intrigue par la bande, reconstruit peu à peu l'intégralité des faits. Le journaliste-espion Maxime Kammerer poursuit Lev Abalkine sans comprendre pourquoi, mais en s'efforçant de reconstituer le puzzle des événements malgré les énormes lacunes qui grèvent ses informations. Maxime Kammerer possède cependant sur le lecteur du Scarabée dans la fourmilière un avantage certain : celui de savoir en quel siècle se déroule l'histoire, celui de connaître le cadre social. Il est perdu, mais le lecteur l'est plus encore, même si cette errance ne nuit en rien — bien au contraire — à l'efficacité du récit.
Recherche littéraire, certes. Mais recherche savamment dosée, aux accents déconcertants. Recherche lisible. On ne peut que se féliciter de voir le Fleuve Noir ouvrir ses portes à des ouvrages de cette qualité, et permettre ainsi au « grand public » de se familiariser avec autre chose que les habituels « délassements » souvent simplistes auxquels il l'avait habitué. Signe d'un changement de politique ? Espérons-le.
En tout cas. La scarabée dan » la fourmilière mérite que l'on s'y arrête. Et nous rappelle que les frères Strougatski sont de grands écrivains de SF.