On ne présente plus Peter Straub qui, comme l'indique la quatrième de couverture du Club de l'Enfer, « est revendiqué à la fois par les amateurs de fantastique et les inconditionnels du polar. » D'ailleurs, suivant sa sensibilité, le lecteur aura d'ores et déjà ses préférences dans le corpus straubien — un amateur de fantastique ne saurait passer à côté du Fantôme de Milburn. Le Club de l'Enfer est sans aucun doute celui de ses romans où les deux facettes sont le plus imbriquées : l'enquête policière n'a guère de sens si l'on ne plonge pas avec l'auteur dans des événements dont l'ancienneté (1938) peut faire douter de la réalité.
L'intrigue foisonnante résiste à la tentative du résumé ; sachez tout de même qu'au centre de ce livre, on trouve un autre livre, Le voyage dans la nuit, jumeau ténébreux à peine voilé du Seigneur des anneaux. Son auteur, Hugo Driver, aujourd'hui disparu n'est jamais parvenu à surpasser ce chef-d'œuvre qui a fait sa gloire et la fortune de son éditeur Chancel House. Davey Chancel, fils unique du patron de Chancel House, et sa femme Nora vont se trouver plongés dans un tourbillon d'événements qui ne vont pas tarder à les dépasser : Nora est arrêtée pour l'enlèvement d'une amie de Davey, Natalie Weil. Pendant ce temps, la police a enfin mis la main sur le responsable d'une série de meurtres perpétrés sur des femmes mûres et riches de la région. Le coupable, Dick Dart fait partie du cabinet d'avocats qui s'occupe des affaires juridiques de Chancel House. Nora et Dick se rencontrent en prison lors de l'évasion de ce dernier, au cours de laquelle il prend Nora en otage pour faciliter sa fuite. Et c'est le début d'une folle course poursuite. Ce que je viens de résumer tient en 160 pages et il en reste encore deux fois autant.
L'art consommé de Straub fait qu'à aucun moment la tension ne baisse, le lecteur est mené par le bout du nez pour son plus grand plaisir. La vérité sur l'auteur du Voyage dans la nuit et sur les itinéraires de l'ensemble des protagonistes est la récompense accordée par un auteur au mieux de sa forme dans les cent pages d'anthologie qui constituent le « Livre IX » et final d'un roman inoubliable.
Un dernier mot enfin, avant de vous laisser vous ruer chez votre libraire : vous n'oublierez pas de sitôt le personnage de Dick Dart, l'un des plus fascinants méchants de la littérature fantastique moderne. Tueur de femmes sans états d'âme, violeur sans scrupule, mais aussi amateur sophistiqué des femmes et de leur apparence, maquilleur et coiffeur hors pair, intellectuel érudit et cinglé irrécupérable, il est le Monsieur Loyal d'un cirque terrifiant.