Entre Mary Poppins et Roger Rabbit, un festival de gags en hommage à Tex Avery.
Pas de meurtre cette fois pour Tem, le privé « transparent », mais le vol inexplicable du Faisceau chromatique, roman écrit par son grand-père. En menant son enquête, il ne tarde pas à découvrir que tous les exemplaires de ce livre semblent avoir disparu, et qu'une créature décrite comme un « toon » par un témoin semble être l'auteur de ces multiples larcins. Qui peut bien avoir intérêt à faire disparaître toute trace de ce roman ? Comment s'y est-il pris ? Tem parviendra-t-il à empêcher des personnages tout droit sortis d'un dessin animé de déferler sur notre monde pour y semer la Terreur ?
Né en 1960, Roland C. Wagner a mis longtemps avant de se rendre compte qu'il avait le sens de l'humour. De fait, aux textes désespérés de ses débuts ont succédé des romans goguenards et optimistes où les situations de crise se règlent par l'intelligence et non par la violence.
Critiques
II ne faut pas craindre de l'écrire haut et fort, Sanctuaire Révéré poursuit ses affabulations quasi diffamatoires dans le dernier tome de ses mémoires, Toons, complaisamment éditées par le Ruisseau Blanc. Évidemment, sa profession de détective privé ne lui laissant pas le temps de se colleter lui-même avec l'écriture, il a recouru pour cette tâche ingrate à un nègre bien connu des maisons parisiennes, un certain Robert V Beethoven. Inutile de préciser que le résultat de la collaboration entre un membre de la tribu des Acidulés et un Classique ne manque pas de sel ; pour ainsi dire, ça plonge dans le pittoresque... sans jamais refaire surface.
Frappe en premier lieu l'inconsistance du style, mal dissimulée par une ruse vieille comme le Ruisseau Blanc, qui consiste à employer une très petite police de caractère, afin de donner l'illusion d'un texte riche. Hélas, on aura beau chercher la fulgurance proustienne, une imagination malsaine tient lieu de discours à notre privé ainsi qu'à son complice. Probablement né Augustin Duschmoll ou Hyppolite Nomhacouchédehors, Sanctuaire Révéré se prétend fils de millénariste, affligé du don parapsychique de transparence. Si donc il porte la tenue aussi discrète que de bon goût des Baby boomers des années 1960, ce n'est point parce que sa tribu affectionne le psychédélique, mais par souci de se faire remarquer de ses interlocuteurs, tout autre choix vestimentaire le condamnant à une forme d'invisibilité sociale. Affirme-t-il par là que les Acidulés ne sont en fait que des Anonymes incapables de s'assumer ? Il donne un élément de réponse en esquivant le sujet, tout comme nombre d'autres questions dérangeantes.
En revanche, sa capacité digne du baron de Münchausen de broder les récits les plus aberrants lui permet sans problèmes d'étaler sa mégalomanie délirante. Se comparer aux plus grands scientifiques ne lui fait pas peur, pas plus que Couche de Bolgenstein et la Grande Terreur primitive de 2010 ne représentent pour lui de mystères. Ainsi plaque-t-il sur les événements un peu bizarres, mais pour lesquels une explication rationnelle fut trouvée, les pires fantasmagories nées d'un esprit malade. Toons constitue à ce titre un exemple édifiant de cette démarche : récemment, l'inspecteur Trovallec a brillamment résolu l'affaire des hologrammes de personnages de dessins animés du siècle dernier, lesquels avaient semé le désordre dans Paris en un bref rappel de la Terreur, en arrêtant le gang terroriste des Holographistes de la Dernière Heure ; or, non sans ternir la réputation du policier au passage, Sanctuaire Révéré s'attribue le mérite de la disparition des hologrammes en donnant une version des faits très artistique, pour ne pas dire fantastique, festonnée de termes scientifiques incongrus. Naturellement, une personne de l'importance de notre détective ne peut qu'être constamment mêlée aux complots échafaudés à l'échelle mondiale par les Technotrans. Ces dernières, pourvues de services secrets antéterrifiants, l'auraient confronté rien de moins qu'à des créatures venues de mondes parallèles ainsi qu'à des démons issus du passé. La police devrait s'intéresser à sa part de responsabilité dans les cadavres qui s'amoncellent au fil de ses enquêtes, tant son profil suggère le tueur en série, un individu assez froid et insensible pour se vanter à demi-mots de ses crimes. Espérons cependant qu'il ne s'agit là encore qu'invention de sa part. Que les multinationales, dont on pourrait penser que l'objectif, à notre époque si stable et pacifique, consiste surtout à vendre des produits, emploient des « cyber-ninjas », n'est que routine pour Sanctuaire Révéré, accoutumé à tenir d'intéressantes discussions avec des ayas immatérielles ainsi que des phénomènes culturels tels que le Rock n'roll (une danse du XXe siècle qui ressemble beaucoup à la Salsa). Last but not least, précisons que, si Sanctuaire Révéré fait de nombreuses références à un détective de fiction, Nestor Burma, son nègre, quant à lui, n'a pas hésité un seul instant a s'inspirer lourdement de l'œuvre de Léo Malet, en pensant sans doute que ce dernier avait sombré dans l'oubli depuis un siècle, et que l'on y verrait goutte. Ceci, quoique d'une manière maladroite, rattache évidemment ces mémoires, où s'imbriquent si étroitement réel et fiction, au genre du roman gris, même si par bien des aspects, un lecteur de 1970, lui, aurait sans doute constaté une fusion entre la fantasy, le polar et la science-fiction. Toons constitue donc le gag tonitruant qu'attendait la rentrée littéraire pour se détendre avant de passer à des choses plus sérieuses, tant il lui sera difficile de se remettre de la sortie l'an dernier des Particules alimentaires, l'oeuvre d'un véritable écrivain cette fois, le prodigieux Edgar Zyviec.
Même si sa transparence est de moins en moins le moteur de l'action, Tem, le détective des « Futurs Mystères de Paris », revient sous ce titre laconique. Pour le bonheur du fan quadragénaire, de l'amateur de tout âge, et du lecteur innocent.
Le fan, animal compulsif barbotant entre conventions et festivals, appréciera la recherche d'un roman de SF des années 80, Le Faisceau chromatique, signé Richard Montaigu et qui ressemble fort aux premiers romans de Wagner. D'autant que cette recherche amène à décrire les avatars à venir de collections-institutions du microcosme science-fictionnesque, ou à pasticher les critiques faniques d'époque (dont un éreintement par Francis Valéry). Plaisanteries internes et clins d'œil peuvent inquiéter ceux qui les ont repérés, décodés, appréciés avant de décider que le vulgum pecus n'y comprendrait rien et qu'il fallait lui épargner cette épreuve, bref crachent dans la soupe après s'être servis. Mais ces blagues de potache ne nuisent pas plus à la lecture que les références constantes aux œuvres supposées d'Edgar Zyviec.
Car tout, réel, déformé ou imaginaire, fusionne dans l'univers de la série. Et c'est ce qui compte pour l'amateur. Qui retrouvera Eileen, Ramirez, narrateurs intermittents signalés par la typographie, Gloria et Peggy Sue, intelligences artificielles rigolardes et perturbatrices (et pathétiques, in fine), la psychosphère, le souvenir de la Grande Terreur primitive, les technotrans, les archétypes infréquentables. La banlieue de Paris, bien entendu. Et la familiarité dans l'invraisemblable, double source de plaisir. Le n'importe-quoi systématique et raisonné. Et même la propension aux zones d'ombre, aux discutables ellipses à expliquer plus tard, sans doute dans une nouvelle mettant en scène Honoré, le cochon transgénique préposé aux intrigues parallèles. Et si les retrouvailles pourraient n'avoir qu'un intérêt limité, en exploitant l'univers sans guère lui apporter du neuf, c'est racheté par l'histoire elle-même, telle que l'annoncent titre et couverture.
Car l'histoire, ou ses à-côtés, devraient combler le lecteur innocent, pour peu qu'il aime Tex Avery, et Roger Rabbit, évoqués au dos du volume. Ce n'est rien déflorer que de dire qu'à la SF, et au rock, s'ajoute le dessin animé. Avec une irruption discrète puis massive de ses personnages dans le réel (et réciproquement, à vrai dire), qui permet des scènes saugrenues et jubilatoires. Avec écureuil dingue, tartes à la crème, souris anonyme pour des raisons de « contraintes légales liées au respect de l'image des personnages sous copyright », autruches, enclumes, chutes, explosions, lapins bouquinant (voyez votre dictionnaire), etc. etc. etc. Et le kangourou de la couverture, dont il serait dommage qu'il fasse réserver le livre aux enfants (qui peuvent le lire : eux aussi ont le droit de s'amuser). Bref, une épouvantable pagaille. Ou un bordel innommable. Qui emporte le lecteur novice, par ailleurs assez mis au courant des particularités de l'univers décrit pour ne pas trop s'y perdre, tout en ayant envie d'y voir plus clair en lisant les volumes précédents (sans savoir qu'il n'y sera que partiellement éclairé...).
Faut-il ajouter que tout cela cumulé fait beaucoup de raisons pour aimer ce livre ?
La couverture bondissante et colorée de Patrick Marcel, ainsi que les souvenirs de Tex Avery et de Roger Rabbit assureront sans doute un bon nombre de lecteurs à ce nouveau volume des « Futurs mystères de Paris ».
Au cœur de l’intrigue se trouve le vol d’un roman de science-fiction, Le faisceau chromatique, écrit par le grand-père de Tem, cet auteur des années 80, joueur de rock « énervé », qui pourrait bien avoir quelques points communs avec Wagner lui-même.
Ce jeu du livre dans le livre déjà présent dans Poupée aux yeux morts permet à Wagner de pratiquer ses sports favoris : la référence et le clin d’œil. Nous retrouvons ainsi des allusions à la Fondation 42, à la Maison d’Ailleurs, ou à certaines revues où se déchaînent des critiques comme Francis Valéry ou Pascal J. Thomas. Ces allusions feront évidemment sourire le fandom, mais il n’est heureusement pas nécessaire de les comprendre pour apprécier l’intrigue.
Pour le néophyte qui découvre l’univers wagnérien doté de onze dimensions ! , le plus difficile sera sans doute la compréhension de la cosmologie mise en place par l’auteur. La Psychosphère permettait déjà quasiment toutes les folies, comme l’incarnation d’Archétypes, et désormais il faudra également compter avec un autre prolongement de cet univers en folie, autorisant cette fois l’apparition de Toons…
Mais ne vous fiez pas aux apparences, il ne s’agit pas de fantasy. Tout ceci est bien sérieux, reposant sur des lois physiques précises qui mettent en jeu des particules originales : les psychons et les cytrons ! Il existe décidément chez Wagner une inventivité délirante qu’on ne retrouve actuellement que chez Evangelisti.
L’hommage au dessin animé, ou plutôt au cartoon, est excellent. Le caractère absurde, trépidant et très visuel des gags cartoonesques paraissait difficile à rendre en littérature, mais Wagner y parvient parfaitement, à grand renfort de tartes à la crème.
De même, la brièveté du roman (imprimé de surcroît en gros caractères) évoque la courte durée du dessin animé, et l’absence de meurtre est encore une loi du genre puisque dans un cartoon aucun personnage ne peut réellement mourir plus de quelques secondes.
La fin abrupte pourra surprendre… Mais le titre du dernier chapitre nous prévient : Deus ex machina ! Nous sommes toujours dans la logique d’un dessin animé où la chute peut survenir de façon brutale, sans justification particulière en dehors d’un « That’s all folks ! ». De plus, même si aucun meurtre n’initie l’enquête, il y aura bien une victime dans les dernières pages ; dès lors, la farce doit s’arrêter rapidement, car le drame sied mal aux Toons.
Roland C. Wagner parvient à jongler avec des situations toujours plus loufoques tout en leur donnant un sens et en développant rigoureusement sa cosmologie… Cette fantaisie science-fictivo-métaphysico-policière délirante est donc un pur régal.
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesAssociation Infini : Infini (3 - liste francophone) (liste parue en 1998) pour la série : Les Futurs mystères de Paris