Surprenant pavé que celui-ci : Conte d'hiver, par son foisonnement, par son accumulation de détails et de personnages, par son intemporalité, nous remet en mémoire la magie de Cent ans de solitude, le chef-d'œuvre de Gabriel Garcia Marquez. Mais Mark Helprin a su métamorphoser le « réalisme fantastique » sud-américain en un genre strictement nord-américain, par le biais d'un imaginaire urbain (la toile de fond principale est un New York du futur), et d'une quantité de références à ce que l'on nomme « le rêve américain »... Cela va des banlieues New Yorkaises aux bandits italiens, des grattes-ciel aux égouts immenses, de l'Hudson aux marais...
Difficile, avouons-le, de résumer 618 pages incroyablement denses aux dimensions d'une simple chronique de lecture. Conte d'hiver, c'est New York dans un avenir incertain aux allures de légende ; c'est New York cerné par les marais et le brouillard. Pas n'importe quel brouillard : celui-ci s'élève tel un mur, infranchissable, engloutissant les êtres vivants, rongeant le métal. La seule voie de communication entre la cité et le reste des Etats Unis demeure le chemin de fer, lorsque le brouillard s'écarte un peu, permettant au train de s'élancer vers les espaces libres. C'est aussi l'histoire de la trahison par Peter Lake des Short Tails, une redoutable bande de truands de Manhattan. C'est le curieux peuple des Baymen, vivant dans les marécages, esquivant le brouillard. C'est un cheval blanc pouvant faire des bonds de plusieurs centaines de mètres, qui permit un jour à Peter Lake d'échapper une nouvelle fois aux Short Tails. C'est le projet dément d'un pont de lumière solide pour rejoindre l'au-delà. C'est une petite fille malade de la tuberculose et immensément riche... je vous l'ai dit : irrésumable !
C'est peut-être bien de science-fiction qu'il s'agit, mais alors une science-fiction magique, poétique... Une science-fiction comme celle de Michael Coney dans Le chant de la Terre : s'inventant une nouvelle voie du côté du emrveilleux afin d'éviter le cul-de-sac ultra-technophile. Une science-fiction empruntant les plus beaux atours de la fantasy : peut-être la SF américaine d'aujourd'hui dans ce qu'elle a de plus intéressants, originale, d'avenir... En tout cas un événement littéraire, un chef-d'œuvre avec lequel il serait bon de désormais compter.
André-François RUAUD (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/12/1987 dans Fiction 392
Mise en ligne le : 3/4/2005