À supposer que la faim, la maladie et la guerre soient définitivement bannies de notre planète, à quel genre de bonheur les hommes accéderont-ils ? On n'a pas oublié la réponse à la fois brillante et accablante qu'Aldous Huxley a donnée à cette question dans Le Meilleur des mondes. Le tableau de cette humanité conditionnée, anesthésiée, diminuée, bref abrutie par les « miracles » de la science et de la technique, pouvait faire croire qu'Huxley entendait tourner le dos résolument à l'avenir. Or voici que, dans un nouveau roman, il nous peint une société située dans un avenir éloigné dont l'éthique constituerait une réussite humaine idéale. Une sublimation de l'esprit et du corps obtenue par une méthode qui tire la quintessence aussi bien de la philosophie occidentale que de la sagesse orientale et des enseignements de la physiologie et de la chimie conduit à « l'ultime lumière », à la « félicité lumineuse ». A un stade ultérieur, l'absorption d'une drogue à base de champignons permet à l'être de se fondre avec le cosmos dans une extase supra-humaine.
Mais l'île interdite où se déroule cette sublime expérience est condamnée à une destruction complète. Si nous pénétrons son secret à la suite d'un journaliste, c'est pour assister à la découverte d'un gisement de pétrole qui va amener le retour du « progrès » et obliger les adeptes de la nouvelle religion à se disperser.
En dépit de ces vicissitudes, le nouveau roman d'Aldous Huxley ajoute à la sombre construction du Meilleur des mondes une aile lumineuse et aérée. Ses dernières méditations et les expériences récentes auxquelles il s'est livré ont appris à l'auteur qu'il existe un état supérieur auquel il n'est pas chimérique de vouloir accéder. Et ce n'est pas le moindre paradoxe du grand sceptique anglais que son dernier roman soit enmême temps un livre de vie et de salut.