J'AI LU
(Paris, France), coll. Fantasy (2007 - ) n° 9716 Dépôt légal : septembre 2011, Achevé d'imprimer : 12 octobre 2012 Roman, 224 pages, catégorie / prix : 5,90 € ISBN : 978-2-290-02980-0 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Fantasy
Chien de heaume, un surnom gagné au prix du sang et de la sueur par celle qui ne possède plus rien que sa hache, dont elle destine sa lame à ceux qui lui ont pris son nom. Mais en attendant de pouvoir leur sortir les viscères, elle loue son bras et sa rage aux plus offrants, guerrière parmi les guerriers, tueuse parmi les loups. De bien curieuses rencontres l'attendent au castel de Broe où l'hiver l'a cloîtrée : Regehir, le forgeron à la gueule cassée, lynge à la voix la plus douce que les mœurs, le chevalier Sanglier et sa cruelle épouse de dix printemps. Au terme de sa quête, Chien trouvera-t-elle la vengeance, la rédemption ou ... autre chose ?
Justine Niogret
Née en 1978 et vivant aujourd'hui dans les Alpes-Maritimes, Justine Niogret pratique la forge et l'équitation. Chien de Heaume, fable initiatique, dépeint le Moyen Âge avec une acuité troublante.
1 - Note de l'auteur, pages 209 à 209, notes 2 - Petit Lexique à l'usage des étrangers aux armes, armures et pièces d'équipement médiévaux, pages 211 à 219, lexique
Justine Niogret s’était jusqu’à présent distinguée par un recueil paru en 2008 aux éditions Calepin Jaune, Et toujours, le bruit de l’orage... Elle nous revient aujourd’hui avec son premier roman au titre étrange, publié chez Mnémos. Mais qui donc est ce Chien du Heaume ?
Chien, c’est en fait une femme. Une âme seule, qui a oublié son passé, ses origines, ses parents. Elle a fait carrière dans la seule profession qu’elle connaît et maîtrise : le mercenariat. Elle en tire son surnom, puisqu’à chaque bataille, on la siffle, tel un chien. Son instrument de travail, c’est sa hache ornée de serpents. Aussi, lorsqu’elle rencontre le seigneur Sanglier, avec qui elle noue une relation un tant soit peu suivie pour la première fois de sa vie, et qu’elle constate qu’il va peut-être l’aider dans sa quête de ses origines, une lueur d’espoir se fait-elle jour en elle.
Plus qu’un roman de fantasy, c’est à une véritable saga historique que nous convie Justine Niogret avec ce volume. Pas de magie ici, pas d’éléments fantastiques (hormis l’apparition de la Salamandre ; on y reviendra), juste la fureur des batailles, l’âpreté de la vie dans les châteaux et les forêts alentour, et une quête quasiment désespérée d’identité. Mais une quête un peu fluctuante, tantôt haletante tantôt mise en sommeil : après plusieurs avancées significatives, Chien s’arrête brutalement, tandis que le point de vue narratif passe inconsciemment de la femme à Sanglier. Le roman s’enlise ainsi un peu dans sa deuxième partie, avant de repartir dans un final intense.
Entre fièvre et instants d’introspection, Niogret essaye de faire partager à son lecteur les tourments de ses personnages. Pour le faire totalement adhérer , il fallait donc que l’auteure puisse l’immerger dans le monde qu’elle fait ressurgir. Et là, mission réussie : tout ça sent le vécu à plein nez : la chaleur réconfortante des auberges, le goût des brouets qu’on y sert, la boue qui envahit les forêts avec la pluie, la chaleur encore, mais aussi le bruit et les odeurs de la forge – pour cette dernière, rien de bien surprenant quand on sait que l’auteure la pratique elle-même en Bretagne. Tout cela est évoqué avec force détails qui montrent un solide travail documentaire préalable, mais dont la rigueur est bien heureusement contrebalancée par une narration envoûtante, dans une langue très travaillée. Le style affirmé de Niogret se traduit ainsi par une sensualité brute dans sa description des personnages et des lieux – on a presque l’impression qu’elle prend son style à bras-le-corps de la même manière que Regehir le fer –, sans jamais perdre de vue qu’il doit se faire efficace quand des éléments doivent être apportés au lecteur. Rarement les hommes, les décors, auront paru si réalistes, si proches de nous. Et à ceux qui douteraient de ses compétences, Justine Niogret propose en fin d’ouvrage un lexique des termes médiévaux dans un tout autre style, nettement plus moderne, et un brin plus iconoclaste.
Dans sa deuxième partie, ce roman, qui s’orientait vers une trame de quête très classique en fantasy, s’orne de quelques réflexions intéressantes lorsque paraît la Salamandre. Ce personnage, seul élément fantastique du livre, va et vient sans que l’on sache exactement qui il est, ce qu’il veut. Il semble néanmoins porter sur lui tout le poids d’un monde qui change, d’un Moyen Âge qui se modifie peu à peu, à mesure que les batailles se raréfient – plongeant dans les affres du doute les tenants de l’ancien monde comme Sanglier – et qu’arrivent de nouvelles religions qui supplantent les croyances dominantes. Tout devient clair : le propos de Niogret est de nous raconter tout autant la constitution des mythologies du Moyen Âge, leurs évolutions, qu’une simple quête de mercenaire.
Au final, Chien du Heaume se révèle un excellent premier roman. On lui pardonnera quelques petits défauts (Justine Niogret force parfois un peu trop le trait, et sa gestion de la progression de l’intrigue pêche par instants, notamment dans l’utilisation de quelques grosses ficelles) pour souligner la beauté de la langue, la vitalité de l’intrigue et une volonté certaine de traiter de la mythologie constitutive d’un Moyen Âge ô combien admirablement restitué.
La vie n'a pas été tendre avec Chien et cette dernière le lui rend bien. Courte sur jambes, un peu grasse, le visage couturé de cicatrices, bref un physique ingrat assez éloigné de celui des dames à la licorne, elle taille la route depuis son plus jeune âge. Louant ses talents de tueuse à des employeurs pas toujours très reconnaissants ni recommandables, Chien guerroie pour des causes rarement justes. Pourtant l'amitié rugueuse de ses compagnons d'armes et la carapace qu'elle s'est forgée au fil du temps masquent à peine le vide béant qui la hante. Elle aimerait bien le remplir avec un nom : une identité tangible, un point d'ancrage dans le passé, voire une lignée à laquelle se rattacher. Baste ! De tout cela, elle en a été privée en tuant son père. Un secret au moins aussi lourd à porter que cette hache attachée à sa taille.
Histoire âpre dans un monde ne l'étant pas moins, Chien du Heaume n'incite guère à la gaîté. Dans un univers crépusculaire, résonnant comme la fin d'un monde, Justine Niogret prend le contre-pied des imbuvables trilogies et autres bidulogies de BCF peuplées d'archétypes répétitifs et de faux antihéros. Ce premier roman d'un auteur dont on a pu lire jusqu'ici qu'une poignée de nouvelles, adresse en effet aux poncifs du genre un malicieux pied de nez et profite de l'occasion pour nous brosser un superbe portrait de femme. Le tout empaqueté dans une langue pseudo médiévale du plus bel effet. Et même si l'ensemble n'est pas parfait, en particulier les quelques fils de l'intrigue ayant recours à l'onirisme (un peu superflu, ou alors manquant de développement), avouons incontinent notre enthousiasme avec un zèle contenu à grand-peine.
En dépit de l'absence de marqueurs historiques identifiables, toponyme, fait datable ou daté (tout au plus fait-on référence aux Norrois), ou personnages attestés dans les chroniques, Chien du Heaume sonne pourtant authentique. Une authenticité ne craignant ni l'anachronisme, ni le recours aux ressorts d'une fantasy débarrassée ici de la grosse artillerie et de la poudre de merlin-pinpin. Une authenticité rugueuse, brute, qui tousse, pue, ripaille, vit et meurt sans laisser plus de trace qu'une charogne. Au plus près de l'humain, Justine Niogret dépeint une époque obscure, ensauvagée, rythmée par des hivers glacés et des étés ardents. Une époque en passe d'être supplantée par un nouvel ordre plus conforme à l'idéal chrétien. Dans ce Moyen Age encore mal dégrossi, fuyant à la fois les artifices du merveilleux et les dorures héroïques de l'épopée, elle nous embarque dans une quête intime, quasi-viscérale : celle de Chien. Personnage complexe, tourmenté et pourtant capable d'agir sans manifester aucun état d'âme, Chien en devient attachante. Au fil de ses pérégrinations, des étapes, elle rencontre ses contemporains : des vilains prêts à mordre la main qui les protège au moindre signe de défaillance, des mercenaires comme elle, prêts à se vendre au plus offrant, des trouvères à la langue plus ou moins fourchue, des religieux traquant hérésie et paganisme pour imposer leur Dieu et ainsi ouvrir le chemin à l'aliénation en découlant. Enfin, des solitaires comme elle, plongés dans leurs souvenirs, attendant la fin et espérant que l'on se souviendra d'eux. « Un nom fait toute la différence, parce que tout ce qui a de l'importance, sur cette terre, en porte un. »
En 216 pages, lexique et notes de l'auteur compris, tout est dit, achevé. Et le lecteur, encore ébahi par cette plongée dans un âge obscur, de rester marqué durablement par les êtres de chair et de sang dont il vient de lire l'histoire. Une espèce rare en fantasy. Maintenant, confessons notre impatience de lire Justine Niogret dans un autre registre, par exemple celui dévoilé dans les notes. On en salive d'avance.