Ce roman, qui parut pour la première fois en 1922, n'a jamais compté au nombre des plus célèbres de Rosny. Est-ce parce que son décor se prête moins au dépaysement ? Est-ce parce que Rosny a mieux dit, ailleurs, ce qu'il a entrepris de narrer en ces pages ? Peut-être, mais cet Étonnant voyage ne décevra pas ceux qui ont aimé La guerre du feu ou Le félin géant.
Il « s'enivrait à la présence de sa flexible compagne. Dans le visage clair – pulpe de jeune lys, nacre, nuée d'avril – les yeux de saphir, aux reflets de jade, avaient une douceur sensitive. Et les cheveux luisaient comme des froments murs. » S'il n'y avait ici le nom d'un mois, et la mention du froment, évoquant une civilisation qui a atteint le stade agricole, ne pourrait-on pas associer un tel passage à un « roman des âges farouches », comme l'auteur aimait à les appeler ? En fait, « il » se prénomme ici Philippe, plutôt que Helgvor, il est français, et c'est au XXe siècle qu'il vit ses aventures. Mais celles-ci représentent un développement de ce voyage dans l'inconnu dont Rosny fit le thème de nombreux récits, et l'inconnu est, à plus d'un égard, un retour vers le passé. Les personnages du roman communient avec la Vie innombrable, qui peut parfois les menacer, mais à laquelle des attaches instinctives les lient.
Dans ses trois premiers quarts, le roman n'est pas substantiellement différent de tant d'autres récits d'aventures qui utilisaient, il y a quarante ou cinquante ans, l'Afrique pour cadre. Celle-ci présentait alors suffisamment de zones inconnues pour permettre aux romanciers d'y placer des créatures imaginaires. Rosny ne s'en prive pas, d'ailleurs, laissant intervenir assez vite dans son récit deux races anthropoïdes qu'il nomme respectivement les Trapus et les Hommes Aériens. Mais ce n'est pas pour eux que Hareton Ironcastle et ses compagnons sont venus des États-Unis, de France et d'Angleterre : c'est pour voir une région mystérieuse dans laquelle certains végétaux imposent leur loi aux animaux, et dans laquelle vivent les Hommes-Écailleux. Ceux-ci sont des êtres qui rappellent un peu les Martiens découverts par les Navigateurs de l'infini (Rosny ne fait cependant jamais le rapprochement de façon explicite) ; dans cette contrée, ils « remplacent les hommes »…
Une fois atteinte la région dominée par les végétaux – et, plus exactement, par des mimosées – le récit s'achève assez rapidement. Sans doute est-ce parce que Rosny a tenu à montrer que les habitants de cette terre sont différents, différents à un point tel que le contact avec eux n'est presque pas possible. Tout ce qu'il reste à faire à Ironcastle, c'est de quitter la scène au moment où on apprend qu'il va commencer quatre mois d'observations dans la région, avec l'explorateur qu'il était venu retrouver. En cela, le roman tourne court, sans doute mais le voyage est raconté avec la richesse poétique et la couleur dont Rosny possédait le secret dans son style. L'Afrique que traversent Ironcastle et ses compagnons est frémissante, à la fois menaçante et riche en échos : comme l'Europe d'il y a plusieurs dizaines de milliers d'années. Même si Ironcastle est mieux armé que d'autres héros de Rosny, même s'il entreprend son voyage poussé par la curiosité scientifique, il conserve une réceptivité presque mystique à l'égard de tout ce qui exprime la vie de la nature.
C'est à cette réceptivité que tient l'intérêt du récit, et non au roman d'amour conventionnel qui est greffé sur l'action, ni aux caractères assez proches les uns des autres que l'auteur a prêtés à ses personnages. Ce sont surtout les paysages qui font la qualité du voyage de Hareton Ironcastle, et, bien entendu, la manière dont ils sont peints.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/4/1966 dans Fiction 149
Mise en ligne le : 22/3/2023