1 - Tour de table d'acceptation du monde, pages 6 à 6, nouvelle 2 - Le Directeur bleu prend son mégaphone, pages 7 à 7, nouvelle 3 - Où sont les plans ?, pages 8 à 9, nouvelle 4 - PENSE TRÈS FORT À TES DENTS, pages 10 à 15, nouvelle 5 - Solo yaourt, pages 16 à 16, nouvelle 6 - Cartable, pages 17 à 17, nouvelle 7 - LE MYSTÈRE DU SCONSE, pages 18 à 21, nouvelle 8 - Tuyauteries, pages 22 à 24, nouvelle 9 - Faute d'accord, pages 25 à 26, nouvelle 10 - Mon pâté préféré, pages 27 à 27, nouvelle 11 - TROIS LÉGIONNAIRES, pages 28 à 32, nouvelle 12 - Le Veau délicieux, pages 33 à 34, nouvelle 13 - LES GARS DES COCKTAILS GLACÉS, pages 35 à 39, nouvelle 14 - Éclatement des bulles, pages 40 à 41, nouvelle 15 - ERASERHEAD REMIX, pages 42 à 45, nouvelle 16 - Là où c'est loin et chaud, pages 46 à 46, nouvelle 17 - LES ODEURS DE LA MACHINE, pages 47 à 48, nouvelle 18 - Réalisation de tous les rêves, pages 49 à 49, nouvelle 19 - FIN DES MATHÉMATIQUES, pages 50 à 53, nouvelle 20 - Solitude lavable, pages 54 à 54, nouvelle 21 - FUCK THE PSYCHOLOGIE, pages 55 à 58, nouvelle 22 - Pornography, pages 59 à 59, nouvelle 23 - ENTRETIEN AVEC LE PREMIER ARTISAN DE FRANCE, pages 60 à 64, nouvelle 24 - Fin du fromage et début de la bureautique, pages 65 à 65, nouvelle 25 - Le Concert des meubles, pages 66 à 66, nouvelle 26 - FIN DU SUCRE ÉTANCHE, pages 67 à 70, nouvelle 27 - Le Gros œil crevé, pages 71 à 72, nouvelle 28 - SOUVENIRS D'UNE DÉCENNIE, pages 73 à 77, nouvelle 29 - Les Fossoyeurs, pages 78 à 78, nouvelle 30 - JE GAGNE TOUJOURS À LA FIN, pages 79 à 87, nouvelle 31 - Carte postale, pages 88 à 88, nouvelle 32 - Aux antipodes, pages 89 à 89, nouvelle 33 - BALADE SUR LES REMPARTS, pages 90 à 104, nouvelle 34 - Fin de la fontaine, pages 105 à 105, nouvelle 35 - Mémoire, Vision et tous les autres, pages 106 à 106, nouvelle 36 - L'Inverse du lapin, pages 107 à 107, nouvelle 37 - MA DISCUSSION AVEC LE CHEF DE LA RÉVOLUTION, pages 108 à 113, nouvelle 38 - L'Apocalypse des homards, pages 114 à 114, nouvelle 39 - Conseil d'un Camerounais, pages 115 à 116, nouvelle 40 - SOLO CARRELET, pages 117 à 119, nouvelle 41 - Tempérament normand, pages 120 à 120, nouvelle 42 - MEILLEURS VŒUX, pages 121 à 122, nouvelle 43 - Matelas, pages 123 à 123, nouvelle 44 - L'HOMME AUX MILLE VISAGES, pages 124 à 130, nouvelle 45 - La Poule des ténèbres, pages 131 à 131, nouvelle 46 - DEUX MINUTES À PERDRE, pages 132 à 135, nouvelle 47 - Le Néant de l'adolescence, pages 136 à 136, nouvelle 48 - Deux stratégies pour bien dormir, pages 137 à 137, nouvelle 49 - SURTOUT, NE TE PRESSE PAS, pages 138 à 142, nouvelle 50 - Les Pertes blanches automatiques, pages 143 à 144, nouvelle 51 - Chambre à Tananarive, pages 145 à 146, nouvelle 52 - PEUT-ÊTRE QUE LA LUNE EST BELLE, pages 147 à 153, nouvelle 53 - Vraiment à poil, pages 154 à 154, nouvelle 54 - Église engloutie, pages 155 à 155, nouvelle 55 - Règne animal, pages 156 à 156, nouvelle 56 - ICI, L'HERBE POUSSERA LIBREMENT, pages 157 à 161, nouvelle 57 - Vue sur les falaises, pages 162 à 162, nouvelle 58 - Ne bouge pas trop la machine, pages 163 à 163, nouvelle 59 - Un agent hyperactif, pages 164 à 164, nouvelle 60 - IL FAUT FAIRE ATTENTION LÀ OÙ ON LÈCHE, pages 165 à 166, nouvelle 61 - Un sous-marin nazi oublié, pages 167 à 167, nouvelle 62 - Le Bateau américain, pages 168 à 168, nouvelle 63 - Surgissement de la race, pages 169 à 169, nouvelle 64 - CHROMATISMES LÉGENDAIRES, pages 170 à 171, nouvelle 65 - La Mycose de l'amour, pages 172 à 172, nouvelle 66 - LE PUNISSEUR, pages 173 à 177, nouvelle 67 - Roche-maman, pages 178 à 178, nouvelle 68 - T'AS PAS DE CANAPÉ ?, pages 179 à 189, nouvelle 69 - Où iras-tu cet été ?, pages 190 à 190, nouvelle 70 - Remplis de sève, pages 191 à 191, nouvelle 71 - LA DISPARITION DU MAÎTRE, pages 192 à 194, nouvelle 72 - Le Terrier, pages 195 à 196, nouvelle 73 - LE COULOIR DE LA MOMIE, pages 197 à 200, nouvelle 74 - Le Derviche et la centrifugeuse, pages 201 à 201, nouvelle 75 - Depuis que j'ai perdu mes couilles, pages 202 à 202, nouvelle 76 - LE COURAGE ÉPAIS ET NOIR DE LA GROSSE VACHE, pages 203 à 208, nouvelle 77 - Pas de régulateur thermique, pages 209 à 209, nouvelle 78 - Ajustement du climat, pages 210 à 211, nouvelle 79 - SOIRÉE DESTRUCTION, pages 212 à 215, nouvelle 80 - Plagiste, pages 216 à 216, nouvelle 81 - Dessalement d'eau en Arabie, pages 217 à 217, nouvelle 82 - UN CHEVAL INADAPTÉ, pages 218 à 224, nouvelle 83 - Une thèse exactement opposée à la mienne, pages 226 à 227, nouvelle 84 - Très belle fin, pages 228 à 228, nouvelle 85 - BLANCHE-NEIGE, pages 230 à 241, nouvelle 86 - CE PIED N'EST QU'UN BLOC DE PÉNOMBRE, pages 242 à 250, nouvelle 87 - EST-CE QUE TU AS UNE TORCHE ?, pages 251 à 260, nouvelle 88 - Et je suis devenu une petite lumière, pages 261 à 262, nouvelle 89 - LETTRE À UN ÉDITEUR, pages 263 à 266, nouvelle
La jeune maison d'édition Dystopia Workshop, créée en 2010, nous a déjà offert deux splendides ouvrages. Après Bara Yogoï de Léo Henry et Jacques Mucchielli et Ainsi naissent les fantômes de Lisa Tuttle, les éditeurs du XIIème arrondissement parisien nous proposent un troisième recueil de nouvelles, d'un écrivain peu ordinaire. L'Apocalypse des homards, signé Jean-Marc Agrati, apparaît tout d'abord comme un livre d'une beauté dont le niveau est un standard pour les publications du Workshop. Graphiquement conçu par Laurent Rivelaygue, sa couverture affiche un homard sur fond de crâne, de main sanglante, d'usine fumante et de pictogrammes de danger, qui de sa pince vient titiller le sein d'une femme. Elle étonne autant qu'elle intrigue et suggère un contenu sulfureux mélangeant sexe et violence. Les 84 nouvelles et shots (très courts textes de quelques lignes) qui composent L'Apocalypse des homards en sont effectivement imprégnés, mais traitent aussi d'autres thèmes qui ne laisseront pas le lecteur indifférent. Ceci d'autant plus que l'écriture d'Agrati, son imaginaire décalé et son propos acéré se révèlent sans concession. D'ailleurs, cette intransigeance et la crudité des histoires rebuteront probablement la majorité de ceux qui ouvriront le recueil.
Dès les premiers récits, intitulés Tour de table d'acceptation du monde, Le directeur bleu prend son mégaphone et Où sont les plans ?, le ton est donné. L'auteur déboussole le lecteur en l'embarquant abruptement dans un univers fou et fantastique, dont on ne comprend d'abord rien. Puis, petit à petit, les choses s'éclairent et on identifie les mécanismes qui régissent le monde semi-imaginaire d'Agrati, ainsi que les sujets qui le préoccupent. Ceci au travers de la galerie de personnages qui nous est offerte. Dans un premier temps, l'écrivain utilise des regards d'enfants, à la fois naïfs et cruels, souvent mal dotés par la nature, pour nous dévoiler sa façon de percevoir notre société : sombre et implacable. Le gosse de Pense très fort à tes dents découvre ainsi la perversité des femmes ; le bébé de Solo yaourt, dès le début de son existence, doit endurer la torture de la chaise haute et ses bourreaux de parents ; dans Le Mystère du sconse, des jeunes maltraitent un de leurs camarades à l'odeur repoussante... Agrati se montre sans pitié, tant avec le lecteur qu'avec ses personnages. Ces derniers aiment les mathématiques, dans lesquelles ils trouvent sans doute un repère logique au monde absurde et atroce qui les abrite. Ils sont humains, ce qui signifie surtout, chez cet écrivain, de la noirceur. Cette cruauté des protagonistes ressort tout particulièrement dans leurs pratiques sexuelles. Sadisme, viol, pédophilie, nécrophilie... De nombreuses scènes de violences et de tortures physiques nous sont également présentées, sans jamais nous ménager.
Zol, Octave ou Hector sont, il faut le dire, des employés de sociétés qui nient tout respect de l'humain. Il apparaît alors, en pointillés, un second thème majeur du recueil : le fonctionnement pervers des entreprises, grandes broyeuses au service d'un capitalisme débridé. Les textes Le Veau délicieux, Éclatement des bulles, Réalisation de tous les rêves et bien d'autres se penchent ainsi sur les pratiques sans cœur des commerciaux, managers et autres businessmen arrivistes, opportunistes, impitoyables et cupides. Les personnages d'Agrati appartiennent également à la catégorie des Monsieur et Madame Tout-le-monde. Ils vont au supermarché et assistent à la déliquescence de leurs semblables, provoquée par la société de consommation. Mais si celle-ci enchaîne les hommes et les femmes au besoin de posséder, ces derniers n'attendent l'occasion de briser le joug. Dans Fin du sucre étanche, un commercial est pris à parti par les clients d'un magasin ; la famille de Je gagne toujours à la fin sort victorieuse de l'embuscade tendue par le système mercantile en refusant les promotions qu'il lui offre...
Cette explosion populaire survient dans d'autres textes. Agrati laisse à maintes reprises ses personnages basculer dans une folie furieuse, voire meurtrière. Parfois, ce renversement intervient de manière imagée, avec l'apparition fantasmagorique de homards. Les crustacés incarnent ainsi la violence destructrice enfouie dans le désespoir ou la perversité de l'homme moderne. Émergeant de la Seine ou résultats de la mutation subite d'un individu, ils sont les cavaliers d'une Apocalypse que l'auteur appelle de ses vœux. À d'autres occasions, Agrati se montre plus prosaïque. Par exemple, dans Ma discussion avec le chef de la révolution, la foule lynche une vieille qui nourrit les pigeons perchés sur son balcon, et dont les chiures tombent en pluie sur des voisins excédés. Mais dans Il faut faire attention là où on lèche, Remplis de sève ou Pas de régulateur thermique, il évoque un monde qu'on peut imaginer futur. Un SeinJus et un BaisePierro y sont mis en scène, figures extirpées, en les déformant, de l'Histoire de France pour jouer le rôle de révolutionnaires d'une nouvelle ère.
Avec leurs biomarcusiennes, leur guillotine transparente, leurs lémuriens extraplats qui servent de shorts suceurs, ces courtes histoires sur une Révolution prochaine sont des exemples représentatifs de la science-fiction délirante et provocante de Jean-Marc Agrati. L'imagination de ce dernier est capable de dépasser les limites du raisonnable, mais traite de sujets concrets et contemporains. Elle le classe ainsi parmi les écrivains aux univers d'anticipation les plus originaux du genre.
Cette singularité, il la cultive également par la poésie qui imprègne la plupart de ses textes. Par leur taille réduite, par la réflexion philosophique qu'ils donnent à des aspects de notre quotidien, grâce à la précision du regard qu'Agrati porte sur notre monde, la plupart des shots du recueil apparaissent comme de véritables poèmes. Cet écrivain dispose d'un indéniable talent pour ce difficile exercice de style. Non pas seulement parce qu'il manipule les mots avec brio, tout en employant une écriture directe et assez peu raffinée dans le ton, mais surtout par la justesse avec laquelle il exprime ce que le lecteur a déjà pu ressentir, sans jamais avoir réussi à l'énoncer.
Car l'auteur puise l'inspiration dans ce qui nous entoure. Certains textes n'incorporent ainsi aucun élément fantastique car le réel se suffit parfois à lui-même. On pourrait même croire que dans Conseil d'un Camerounais, T'as pas un canapé ? ou Peut-être que la Lune est belle il raconte des scènes qu'il a lui-même vécues, légèrement modifiées pour y introduire le mordant et la provocation qui imprègne le recueil. Les thèmes abordés dans l'ensemble du livre n'en apparaissent alors que plus préoccupants, l'amertume de l'auteur vis-à-vis du capitalisme et du consumérisme n'en est que plus palpable. Les éléments fantastiques, anges gardiens, crustacés fabuleux, mutants, et cætera. sont donc surtout employés pour mettre en relief ou réifier la folie autodestructrice qui caractérise notre espèce mais peu illustrée au quotidien. Toutefois, dans L'Apocalypse des homards, elle apparaît également comme notre chance de briser le carcan que représente le méprisable système économique qui régit notre société.
Cela dit, ce n'est pas sur une perspective très réjouissante que s'achève le recueil. La première partie du livre décrit un monde ténébreux, où il se passe des choses terribles. Un humour noir et le caractère saugrenu des situations présentées permettent toutefois une distanciation vis-à-vis de leur horreur et de prendre un réel plaisir à leur lecture. Le dernier quart de l'ouvrage nous plonge pour sa part dans une série de textes pour lesquels l'auteur a abandonné le second degré afin de dévoiler la part la plus glauque et répugnante de son univers. On ressort donc de L'Apocalypse des homards avec une impression désagréable, heureux d'en avoir enfin terminé.
Toutefois, ce sentiment est tempéré lorsque le recueil est analysé dans son ensemble. Si de nombreux récits laissent dubitatifs, semblant s'achever avant la fin de ce qu'ils racontent, ils démontrent pour la plupart le talent d'écrivain et de poète de Jean-Marc Agrati. Ils mettent à nu les préoccupations d'un homme aux prises avec l'absurdité de la société de consommation, du capitalisme et de l'égoïsme outrancier qu'ils valorisent. En se complétant, en se répondant, les 84 nouvelles et shots de L'Apocalypse des homards forment un ouvrage dont l'ensemble se révèle supérieure à la somme des parties qui le composent. Plus qu'un simple recueil, le dernier né des éditions Dystopia est un pamphlet fou, violent, exalté, provocant, à lire en entier. Mais à petites doses pour éviter l'overdose.
C'est un fourre-tout qui agrège des nouvelles et des... poèmes en prose ? des vignettes ? des contes ? par dizaines. Ces texticules, Agrati les appelle des « shots », et la polysémie de ce mot en anglais dit bien des choses, qui renvoie à l'alcool, aux guns, à la photo.
C'est l'équivalent papier d'un site web : même si on ne voit pas les liens hypertexte, ils sont là. Couleurs conjuguées. Images réitérées. Expressions déclinées. Personnages récurrents — enfin, peut-être : certains, qui apparaissent dans plusieurs récits, courts ou longs, portent les mêmes noms, en tout cas.
C'est un kaléidoscope violent et cradingue. Avec du sang, du foutre, de la merde. Des apocalypses, oui, collectives et devinées, ou bien individuelles et exposées. Les textes les plus psychologiques, sur la mort de l'amitié, sur la vieillesse et ses perditions, sur les renoncements du quotidien, sur le travail (Agrati dit « la bosse ») et son esclavage plus ou moins consenti, sont poignants, l'air de rien.
C'est un catalogue de cauchemars plus dérangés les uns que les autres. Quand on a vu un « four portatif déguisé en chien » bouffer un postier pédé dans un bar de postiers pédés, on s'attend à tout. On n'est pas déçu.
C'est un style faussement simple. Une écriture dont les fulgurances tantôt vous ébranlent le cerveau, tantôt vous bottent les couilles. Poésie de l'ordure ? Pas seulement.
Ce n'est pas de la SF, à peine du fantastique, plutôt du fantasme. Une bulle acide de présent qui ne demande qu'à crever, ou la bulle acide d'un présent qui ne demande qu'à crever. Il se rattache presque à la littérature fin de siècle, ce bouquin du début de siècle. Contes cruels, Grand Guignol. Une lignée qui s'est poursuivie chez Ruellan, Topor, Sternberg, entre autres.