Quelle est cette immense muraille qui coupe en deux le Royaume d'Almoha ? Au nord règnent la famine, la boue, une pesanteur qui lamine les humains et les transforme en monstres pathétiques. Au sud, personne ne sait ce que dissimule le terrible rempart équatorial. Les légendes parlent d'un pays où tout n'est que richesse et beauté. Mais peut-on croire aux légendes ?

     Nath, lui, vit au nord, sur la plaine boueuse. Entre les varans mangeurs d'hommes, la tyrannie des Sentinelles et les nuages pétrifiés, véritables icebergs volants qui s'abattent mortellement sur les cités, Nath se met en quête du paradis. Mais la muraille cache plus d'un secret... et plus d'une épouvante.

     Almoha est une planète colonisée par les terriens pour ses minerais. Un cataclysme transforme cette planète verdoyante en océan de boue mi solide, mi liquide, en constante métamorphose. Cette mutation décuple la pesanteur, touche aussi la vapeur d'eau qui se transforme en roche. Les nuages deviennent de véritables icebergs de marbre qui, par leur poids, rasent la surface et ravagent tout sur leur passage.

     Nath a échappé aux lézards géants qui ont dévoré son fils et sa compagne, une Tête-Molle. Après avoir fait le voyage sur une baleinière qui chasse les icebergs volants, il retrouve Solterra, sa colline natale. Son retour suscite la haine car il a trahi en voulant parcourir le monde et en s'accouplant à une Tête-Molle. Personne ne veut l'aider, ni lui fournir du travail. Le forgeron lui conseille d'aller au cimetière où Barnabas recherche un assistant.

     Dans la nécropole souterraine, il fait l'apprentissage de la thanatopraxie. C'est un travail exténuant dans des conditions dantesques. Mais les momies qu'il prépare explosent, déclenchant la colère meurtrière de son patron.

     Une nouvelle sentinelle doit être tirée au sort. Nath, malgré l'insistance de Sigrid son amie d'enfance, refuse de se présenter. Lorsque Ghun est désigné, celui-ci vient le chercher. Il a besoin des connaissances que Nath a acquises avec son père, une sentinelle, pour déclamer les incantations supposées éloigner les nuages de pierre.

     Sigrid, qui se dit menacée, avec force tergiversations, finit par l'alerter sur le complot ourdi par les Rampants qui veulent tuer tous ceux qui sont debout. Elle parle de la muraille de l'équateur, du jardin des secrets. Franchir le grand mur, c'est accéder au paradis...

     D'après l'auteur, les livres qui composent le cycle d'Almoha ont été écrits dès le milieu des années 1970. Ces textes ont connu bien des vicissitudes éditoriales. D'abord refusé partout, ce roman trouve un débouché dans une collection jeunesse que crée Fernand Nathan. La première partie, adaptée au public, parait en 1981 sous le titre Les sentinelles d'Almoha. La collection s'arrête. Serge Brussolo propose ce roman, en version adulte, dans la collection Anticipation du Fleuve Noir en 1994 sous le même titre. C'est en 2000, chez Bayard, qu'il entrevoit, dans une collection jeunesse, de le publier en une trilogie, sous le titre Les Sentinelles du crépuscule. Deux tomes seulement paraissent !

     Il semble que cette fois-ci soit la bonne avec la publication en deux volumes, dans une version proche de la saga originale, sous le titre d'Almoha. La Muraille interdite comprend Les sentinelles d'Almoha et Le jardin des secrets. La suite, avec Le serment de feu et Les guerriers de l'Arc-en-ciel, est annoncée pour octobre 2012.

     La lecture de ce premier volume est étonnante. On y trouve toute la richesse d'une imagination débordante. C'est un foisonnement d'idées au service d'une fiction débridée, libérée de tous carcans, qui ne ressemble à rien de ce qui paraissait avant. On peut estimer qu'il y a, en SF, deux périodes : l'avant et l'après Brussolo.

     On retrouve ce qui a fait sa marque de fabrique, une de ses méthodes qui consiste à associer des contraires, des éléments diamétralement opposés, avec une profusion de sujets qui semblent tous plus fous les uns que les autres. Il explore toutes les possibilités et les conséquences qui en découlent, tant physiques que physiologiques, tant mentales que psychologiques, tant environnementales que matérielles. Il utilise, ici, un thème qui prendra une grande place dans son œuvre, la mutation et l'adaptabilité de la nature, de l'homme à des transformations d'un environnement qui est devenu particulièrement hostile.

     Il excelle à développer légendes, croyances et autres formes de superstitions, nées de la situation pour en expliquer l'origine, les causes, et pour tenter d'en minimiser les effets en faisant allégeance à des forces supérieures ou pour conjurer la malédiction.

     Dans Almoha, il commence son récit avec deux éléments particulièrement perturbants, l'accroissement de la pesanteur et la mutation de l'eau. La pluie se transforme en chute de pierres qui obligent au port de cuirasses, la brume élève des murs qu'il faut détruire avant qu'ils ne soient trop solides... Avec la pesanteur, la position débout est pénible, monter un étage modifie le corps avec la concentration du sang dans les extrémités, les vertiges... L'adaptation se fait en devenant Rampant dans la boue, en prenant des drogues aux effets indésirables, en développant, dès l'enfance des carrures d'haltérophiles ou en s'affranchissant de toute enveloppe corporelle...

     On retrouve, avec cette série, l'auteur qui nous avait émerveillés avec sa capacité créatrice, ses feux d'artifice de trouvailles inédites, ses festivals d'images toutes plus baroques les unes que les autres. La Muraille interdite est un de ces livres rares que l'on dévore sans modération.