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Anthologie du Conte Fantastique Français

ANTHOLOGIE

Textes réunis par Pierre-Georges CASTEX

Première parution : Paris, France : José Corti, 1947


José CORTI (Paris, France)
Dépôt légal : 1963
Anthologie, 348 pages, catégorie / prix : 12 F
ISBN : néant
Genre : Fantastique

2ème édition.

Critiques

    Déjà en 1947, lors de la publication par M. José Corti de la première édition de cette Anthologie du conte fantastique français, de M. Pierre-Georges Castex, j’avais été grandement ébahi. Je le suis tout autant aujourd’hui, devant la réédition – par les soins du même éditeur – dudit ouvrage « entièrement refondu, avec des textes nouveaux et des notices inédites ». Ébahi, et passablement admiratif. Car, au contraire de M. Castex, qui nous parle dans son introduction de « la fécondité de notre génie national dans ce domaine » (celui du conte fantastique), j’avais la naïveté de croire, comme le déclarait naguère un membre anonyme du « Groupe Nocturne » à Lia Lacombe (cf. Les Lettres Françaises du 21 novembre dernier), qu’« en France on n’a pas l’oreille fantastique ». Ce qui revient à dire, en clair : pas plus la plume que la tête. Cette malheureuse tête qu’on a déjà tant accusée de n’être point épique.

    Le fantastique ne court pas les rues ; pas plus qu’il ne se « fabrique ». C’est un état d’esprit, une nécessité intérieure. Or, si l’on excepte Erckmann-Chatrian, Villiers de l’Isle-Adam et Marcel Schwob qui sont, avec des registres différents, d’authentiques conteurs fantastiques et nous font croire à leurs phantasmes, tous les autres auteurs – ou presque – représentés dans l’Anthologie de M. Castex prêtent à la discussion.

    Cazotte et Nodier doivent davantage au féerique, au merveilleux, qu’au fantastique intrinsèque. Et, dès l’instant qu’on les admet, pourquoi ignorer Charles Deulin, l’auteur des Contes d’un buveur de bière ? Pour ce qui est de Sue, de Dumas, de Gavarni, de Berthoud, d’Abel Hugo et autres romantiques ou apparentés, on pourrait croire, à lire les récits qu’ils nous offrent, que, s’ils les ont écrits, « c’est la faute des circonstances, la faute à la mode, votre faute à vous-mêmes (les lecteurs), qui voulez du fantastique à tout prix et de toutes mains, comme s’il était donné au premier venu de s’appeler Hoffmann ! » – ainsi que l’avouait ingénument Jules Janin, dès 1832, dans la préface de ses Contes fantastiques.

    Hoffmann ! Voilà le grand nom lâché ! Loève-Veimars, Toussenel, Egmont, Christian, La Bédollière, d’autres encore, venaient alors d’en multiplier les traductions et les adaptations. Et Le Panthéon littéraire qui, par sa diffusion, était déjà un semblant de « livre de poche » le mettait à la portée de toutes les bourses. L’« article » se vendait bien ; et les romantiques ne furent pas les derniers à s’en apercevoir. Ils avaient des besoins d’argent : ils se mirent à la tâche… D’où ce ramassis de babioles, qui ne sont guère « habitées » ; qui se ressemblent toutes ; où le rêve vient un peu trop constamment au secours de l’auteur déficient ; où foisonnent les tavernes du Grand Frédéric ou bien des Trois Monarques, avec leurs beuveries enfumées ; les fabuleuses nuits de givre de Noël ou de la Saint-Sylvestre ; les pures jeunes filles aux longues tresses blondes ; les musiciens et les chasseurs également maudits ; les vampires et les morts-vivants des deux sexes ; les manoirs délabrés, aux corridors ténébreux hantés de vents coulis, de spectres gémissants et de présences incertaines… Qu’on ne s’y méprenne pas, je ne méprise pas cet arsenal traditionnel : les étonnants conteurs anglo-saxons, pour ne rien dire des allemands, en ont tiré des chefs d’œuvre. Mais ils croyaient à leurs récits et nous les narraient sans clin d’œil. Qu’on relise Poe, Dickens, O’Brien, Le Fanu, M.R. James, W.W. Jacobs, Algernon Blackwood, Bram Stoker même – qui n’est pourtant, et visiblement, qu’un « amateur » – et l’on découvrira dans la moindre de leurs histoires ce sens inné du récit, cette conviction chaleureuse, cette constante invention et, surtout, ce climat poétique – souvent inconscient, toujours spontané – sans lequel il n’est point de fantastique qui vaille. Toutes qualités qui transcendent un récit, emportent l’adhésion, et qu’on serait bien en peine de trouver chez les conteurs français précités.

    Heureusement, de grands noms leur tiennent compagnie dans l’Anthologie qui nous occupe : Mérimée, dont on aurait préféré relire Lokis plutôt qu’un épisode des Âmes du purgatoire ; puis Balzac, George Sand, Hugo, Nerval, Baudelaire, lesquels ne se rattachent fréquemment au fantastique que « par la bande », et de façon assez discrète. Toutefois, leurs textes, curieux à plus d’un titre, méritent d’être lus ou relus. Ceux d’Alphonse Daudet, d’Henri Rivière, de Jean Lorrain – qui fut souvent mieux inspiré : lisez Monsieur de Bougrelon – ne présentent, à mon sens, qu’un intérêt mineur. Mirbeau, lui, dans La livrée maudite, ne fait que frôler le fantastique. Quant à Maupassant, on sait que Le Horla, dont on nous donne ici un premier état, relève tout bonnement de la névrose obsessionnelle. Le magnolia, de Rémy de Gourmont, m’évoque, par ses teintes amorties et son ton chuchoté, certaines compositions chlorotiques de Puvis de Chavannes. L’ami des miroirs, de Georges Rodenbach, n’est guère connu : il faut le lire. Le volume s’achève avec Henri de Régnier et Apollinaire ; on aurait souhaité les voir représenter par des textes plus convaincants. Il y en a ; ne serait-ce, pour le premier, que Le secret de la comtesse Barbara, qui figure dans Le plateau de laque, et, pour le second, Le départ de l’ombre, qu’on trouve dans Le poète assassiné. Ah ! j’allais oublier un ami de Balzac, Charles Rabou, dont l’angoissant, le nocturne Ministère public n’est point indigne des grands Irlandais, Maturin et Le Fanu.

    Des noms manquent, cependant ; mais on ne connaît pas d’anthologie qui puisse se targuer d’être exhaustive. Ceux, d’abord, de Richepin, de Farrère, de Maurice Renard que M. Castex n’ignore sûrement pas. Puis ceux, plus secrets, injustement méconnus, de Louis Mullem (Contes d’AmériqueContes ondoyants et divers), de Gustave Toudouze (Les cauchemars), de Gabriel de Lautrec (La vengeance du portrait ovale, suivie d’autres récits)… Bien sûr ! ce ne sont là que de petits maîtres. Mais, en dehors des quelques rares conteurs cités plus haut, il n’en existe guère d’autres dans la période qu’a choisi de prospecter l’auteur de l’Anthologie, et qui va de la fin du XVIIIe siècle au début du nôtre. M. Castex – c’est lui qui nous l’apprend – s’étant « abstenu d’emprunter des textes à des écrivains vivants. »

    On ne peut que le déplorer, car c’est justement là où cessent ses investigations que le vrai fantastique français commence : Marcel Brion, Jean Ray, Jean Cassou, Jean-Louis Bouquet, Marcel Béalu, Noël Devaulx, Thomas Owen, d’autres encore – que j’oublie sûrement – en sont une éclatante illustration.

    Je me dois également d’ajouter que l’idée très large, et parfois confuse, que M. Castex se fait du fantastique n’a pas dû lui faciliter la tâche, l’empêchant à coup sûr de circonscrire ses recherches comme il l’eût fallu. Cela dit – et compte tenu des réserves déjà formulées, – il n’en demeure pas moins que cette seconde édition de son Anthologie, notablement améliorée par rapport à la première, et très sensiblement différente, constitue à ce jour le seul ouvrage de ce genre, qu’on le consultera avec profit, et qu’il est l’indispensable complément du Conte fantastique en France, thèse remarquable, et remarquée, qu’on doit au même auteur. Thèse dont le « Grand Prix de la Critique littéraire » couronna les mérites éminents en 1951, l’année même où M. Corti l’a publiée.

    Je voudrais encore signaler pour finir, toujours chez ce même éditeur, un très important, un très captivant ouvrage de M. Charles Mauron. D’autant qu’on pourrait le rattacher au fantastique par d’autres liens, plus subtils, que les seules présences en ses pages de Nerval et de Baudelaire. Ce livre. Des métaphores obsédantes au mythe personnel, passe quelques-uns de leurs textes – avec d’autres de Corneille, de Molière, de Mallarmé et de Valéry – au crible de la « psychocritique », qui se veut à égale distance de la critique traditionnelle et de la psychanalyse. Je suis sûr qu’il passionnera tous ceux de nos lecteurs qui s’intéressent au mystère et aux cheminements de la création littéraire.

Roland STRAGLIATI
Première parution : 1/1/1964 dans Fiction 122
Mise en ligne le : 30/12/2023

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