Elles s'appellent Nadia, Euphoria, Gloria, Patrizia... Depuis plus de 20.000 ans, elles veillent sur nous, luttant contre une puissance d'outre-Terre qui moissonne l'humanité en provoquant partout crises, famines et guerres. Les anciens Romains avaient fait d'elles des allégories, mais aujourd'hui plus personne ne connaît leur secret. Femmes mûres, mères protectrices, dirigeantes ou jeunes filles exaltées, elles sont nos vigies. Au fil des âges, de l'abbaye du Thoronet jusqu'à l'observatoire de Nice, des Calanques jusqu'au port antique de Forum Julii, elles ont été de tous les rendez-vous de l'Histoire et elles protègent notre futur. Ce sont les Victoires.
Critiques
Natacha, Euphoria, Patrizia, Gloria, Egéria, Nadia, Oruah et Coppélia 31. Toutes des femmes. Toutes des Victoires. Leur but, leur mission à travers les âges : lutter contre l’ennemi puissant et sans pitié de l’Humanité, l’Orvet. Par leur seule volonté, leur savoir transmis de génération en génération, elles sont l’unique rempart entre les humains et cet être cosmique avide de douleur et de souffrances. Malgré leur fragilité.
Le récit débute en 1973 à Marseille. Une jeune fille, Natacha, va brutalement apprendre sa condition de gardienne ; sa mère lui transmet le flambeau avant de mourir sous les coups des victimes de l’Orvet. Capable de percevoir les pulsions les plus secrètes, les plus malsaines, de tous les hommes (mais pas des femmes), et de les amplifier, l’Orvet transforme de simples passants en brutes sanguinaires. Ainsi pérît une Victoire, aussitôt remplacée par sa fille. Car, autant le dire d’emblée, on est loin des grandes sagas pleines d’écoles de sorciers ou autres défenseurs du Bien contre le Mal. Pas de superproduction hollywoodienne ici, l’ambition de l’ouvrage est ailleurs. Plus qu’un roman, Ugo Bellagamba propose avec L’Origine des Victoires une série de portraits fins et touchants liés par une trame commune, mais aussi un motif : l’acceptation de sa destinée. Au nom d’une idée, de la défense des autres et de l’humanité. Ces quelques femmes prennent vie en une poignée de lignes, emplies de doutes et, parfois, d’incompréhension devant ce qui les attend. Les Victoires sont, en effet, étonnamment seules, incroyablement peu armées contre leur ennemi. Tout juste possèdent-elles la connaissance, le savoir de leur invulnérabilité mentale à la tentation induite par l’Orvet. Pour la plupart d’entre elles, il ne reste donc qu’une énorme force de conviction et, surtout, la séduction pour guider les hommes, les éloigner de l’influence maligne de l’Orvet. Même si la violence n’est pas totalement exclue, comme le montre bien la jeune Nadia. Mais toutes ont en commun un courage sans faille, qui les entraîne le plus souvent vers le sacrifice ultime.
Grand atout de ce livre, l’écriture, riche et en même temps fluide, coule comme une évidence. Les points de vue varient : on est tantôt dans l’esprit de Natacha ou d’une autre Victoire, tantôt dans celui, perfide, de l’Orvet. Et ainsi comprend-on, progressivement, les tenants et aboutissants de cette lutte millénaire sans merci. Erudit et curieux d’histoire, Ugo Bellagamba conduit son lecteur à travers les âges avec gourmandise. Pas de pages grandiloquentes ou plombées d’une surcharge de références absconses. Mais une culture solide de l’écrivain, qui permet au lecteur de se glisser sans même y penser dans des habits anciens. Le récit commence au XXe siècle avant de remonter le temps en quête de la première Victoire, loin, très loin dans notre passé. Où l’on rencontre, en chemin, Gustave Eiffel, victime bien involontaire de l’Orvet. Mais aussi, au XIIIe siècle, un Thomas d’Aquin bien surprenant. Et Octavien, futur premier Empereur de Rome, lors d’une halte sensuelle.
Il ne faut pas hésiter à découvrir cet hymne à la femme, à son courage, à sa force. Ce roman simple et beau à la fois. Tout simplement.
Tout commence dans la calanque marseillaise de Morgiou, en 1973 : l'agression d'une mère et d'une fille par deux mauvais garçons et la fuite à la nage de la fille, Natacha, vers le large. Ça sonnerait comme un polar si la mère n'avait, avant cela, expliqué à sa fille qu'elle a échoué, en tant que Victoire, dans sa dernière mission contre l'Orvet. Le nom sonne comme un méchant de récit d'espionnage, mais le récit, entrecoupé de monologues, donne à entendre une voix bien différente, celle d'une entité immémoriale, d'origine extraterrestre, apte à investir et manipuler les hommes pour provoquer guerres et désastres et se nourrir de la souffrance d'autrui. Nous voilà donc dans le champ de la science-fiction. Le lecteur attentif aura d'ailleurs remarqué que la rescapée se remémore d'un épisode de son enfance vieux de quatre-vingt ans, ce qui situe ce premier chapitre en 2053.
On ne cesse d'ailleurs de se promener à travers le temps au fil de cette histoire secrète de l'humanité, passant de 1932 à 1881, 1270, 31 av. J-C, puis selon un mouvement de balancier de plus en plus ample, de 2032 à 19000 ans dans le passé, aux origines de l'Orvet, et finalement dans un lointain avenir de l'humanité hors du système solaire.
Car c'est également depuis les temps préhistoriques que des femmes, appelées ultérieurement Victoires, sont formées et entraînées pour combattre ce fléau. Les anecdotes collectées à travers les lieux et les époques, toutes centrées sur une figure féminine, précisent les éléments de cette histoire secrète : c'est Euphoria envoyée dans une école secrète de Digne-les-Bains, administrée par Alexandra David-Néel, Mère des Victoires locales ; c'est Patrizia qui sauve de l'influence de l'Orvet l'architecte de l'Observatoire astronomique et de l'opéra de Nice, Gustave Eiffel, c'est Egéria la bien-nommée, qui, à Fréjus, manipule Octavien, le futur Auguste du prochain empire romain. Comme avec Thomas d'Aquin, dont on révélera la véritable nature, le droit et la raison sont les armes qui tiennent l'entité à distance, ici la Somme théologique que Thomas vient achever à l'abbaye du Thoronet, là le droit romain et les importantes réformes d'Auguste. Le combat est plus violent à Toulon en 2032 avec Nadia, sorte de super-héroïne propre à affronter seule un commando dans une multinationale, pour contrer un Orvet@Terre ayant également évolué dans sa stratégie. Mais là l'enjeu reste le même que du temps de la grotte Cosquer, quand l'Orvet décidait de faire de la Terre son terrain d'élection. Chaque récit est une pièce du puzzle qui délivre, une fois la lecture achevée, une vue d'ensemble d'un combat sans fin, métaphore du Mal travaillant la destinée humaine.
Bien qu'il y ait eu au fil des siècles des renoncements et des trahisons, L'Origine des Victoires est un vibrant hommage aux femmes. En révélant leur discret combat, Bellagamba leur donne la place qui leur revient. On s'interroge cependant sur le peu d'incidence de cette société secrète sur le destin des femmes en général, sur le choix de laisser l'élément masculin occuper, d'une civilisation à l'autre, la première place, malgré ses insuffisances qui en font un pantin soumis à la volonté de l'Orvet, comme on doute l'existence de ces héroïnes de l'ombre ait pu persister durant vingt mille ans. Mais ces faiblesses structurelles importent peu tant les histoires d'Ugo Bellagamba s'adressent avant tout au cœur et non à la raison ; elles sont servies par une écriture élégante, que rehausse discrètement son érudition d'historien et de juriste.
De même, il ne faut pas s'attarder sur la limitation de cette lutte planétaire, qu'on devine bruissante de multiples batailles, à une seule aire géographique, mais voir dans ces ponctions historiques une promenade amoureuse de la région Côte d'Azur, entre Marseille et Nice, dont le nom d'origine, Nikaia, signifie « celle par qui est arrivée la victoire ».
La maquette de Mémoires Millénaires est au diapason avec les photos noir et blanc ouvrant les récits et avec le relief miroitant de la « main négative », reproduction d'une peinture de la grotte du paléolithique mais qui est aussi le nom du vaisseau spatial de la fin de l'ouvrage.
L'Origine des Victoires est peut-être le livre le plus abouti de Ugo Bellagamba, celui en tout cas où la narration et le propos sont en totale harmonie. Un roman aérien et lumineux qui laisse le lecteur sous le charme.