MIROBOLE
, coll. Horizons pourpres Date de parution : 19 janvier 2017 Dépôt légal : janvier 2017 Première édition Recueil de nouvelles, 320 pages, catégorie / prix : 22 € ISBN : 978-2-37561-052-7 Format : 14,5 x 20,0 cm✅ Genre : Fantastique
Photographie de couverture : (c) iampuay ; (c) Noppanisa Chantawongvilai.
« IL Y A UN TEMPS POUR TOUT. POUR L’AMOUR. ET POUR VIVRE.
ET POUR TUER. «
La beauté du diable pour l’écriture, le génie du mal pour la construction... Anders Fager revisite les grands thèmes du fantastique pour créer sa propre mythologie contemporaine à travers des histoires qui font surgir un univers fiévreux peuplé de forces maléfiques, où le monstre n’est jamais celui qu’on croit.
À Trossen, les résidents de la maison de retraite se regroupent au troisième étage pour des rites venus d’un autre âge ; les deux frères Zami et Janoch escortent Grand-Mère pour un long voyage — Grand-Mère qui gronde parfois, ou montre les crocs ; pour My l’artiste, la femme bafouée, le chef-d’œuvre ultime ne peut se concevoir sans sacrifices ; à Bodskàr, dans la baie plongée dans les ténèbres, quelque chose émerge des flots...
Découvrez un Lovecraft version trash et rock 'n' roll pour une vénéneuse et très angoissée chronique sociale.
Auteur culte, ANDERS FAGER vit à Stockholm. Ex-dyslexique, ex-punk, ex-geek, il a fait paraître des recueils de contes horrifiques, dont Mirobole a publié une première sélection en 2014 sous le titre Les Furies de Borâs.
1 - Fragment I (Fragment I), pages 7 à 13, nouvelle, trad. Carine BRUY 2 - Le Chef-d'œuvre de mademoiselle Witt (Fröken Witts stora konstverk), pages 15 à 88, nouvelle, trad. Carine BRUY 3 - Fragment II (Fragment II), pages 89 à 97, nouvelle, trad. Carine BRUY 4 - Cérémonies (Festivaler), pages 99 à 133, nouvelle, trad. Carine BRUY 5 - Fragment IV (Fragment IV), pages 135 à 141, nouvelle, trad. Carine BRUY 6 - Quand la mort vint à Bodskär (När döden kom till Bodskär), pages 143 à 189, nouvelle, trad. Carine BRUY 7 - Fragment V (Fragment V), pages 191 à 198, nouvelle, trad. Carine BRUY 8 - La Reine en jaune (Drottningen i gult), pages 199 à 245, nouvelle, trad. Carine BRUY 9 - Fragment VIII (Fragment VIII), pages 247 à 256, nouvelle, trad. Carine BRUY 10 - Le Voyage de Grand-mère (Mormors resa), pages 257 à 316, nouvelle, trad. Carine BRUY
Critiques
Trois ans que l’on attendait une suite ou tout au moins une nouvelle compilation des productions horrifiques d’Anders Fager. Les furies de Borås publié par Mirobole Editions en 2014 consacraient le talent d’un Lovecraft suédois qui, s’inspirant des créations morbides du Maître de Providence, rédigeait des histoires déjantées peuplées de créatures anciennes peu recommandables.
La Reine en jaune, comme son prédécesseur, est un recueil de nouvelles alternant récits brefs dénommés « fragments » et d’autres plus longs. Certains forment un ensemble comme Le chef d’oeuvre de Mademoiselle Witt et La Reine en Jaune. Des personnages récurrents font aussi leur apparition de texte en texte sans qu’une intrigue véritablement consistante leur soit associée. Un procédé employé par Lovecraft à propos de monstres dont la seule évocation suscite la terreur.
C’est ainsi que l’on fait connaissance dans le fragment 1 avec la messagère de la Femme Boursouflée dont certaines relations disparues ont pris la précaution de faire incinérer et jeter dans l’acide leurs restes … Le chef d’oeuvre de Mademoiselle Witt raconte le dérapage d’une star du porno placée sous les feux des caméras et des réseaux sociaux et dont les prestations « artistiques » en perpétuelles surenchères aboutissent à un acte de folie. Hormis l’épilogue, la nouvelle respire un ennui digne d'un Identification des schémas de plate mémoire. Dans la suite La Reine en Jaune, My Witt internée en hôpital psychiatrique se transforme en une créature infernale et va régler quelques comptes.
C’est mieux mais le recueil décolle vraiment avec trois textes, Cérémonies, Quand la mort vient à Bodskär et Le voyage de Grand-mère. Le premier est la chronique sociale déjantée et hilarante d’une maison de retraite. Pourquoi les pensionnaires du 4e étage1 ne meurent-ils jamais ? Il faut avouer que Le Nexus du docteur Erdmann de Nancy Kress fait pâle figure face à ces petits vieux dont les déambulateurs suintant la merde suite à une ingestion de pruneaux font une haie d’honneur à une jeune beauté dénudée victime consentante d’une cérémonie secrète.
Dans le second, un commando investit une île du comté de Bodskär. Des russes, parait il, y ont élu domicile. Mais laissons parler l’auteur : « C’est lors d’une nuit d’automne éclairée par un fin croissant de lune que la mort arriva à Bodskär. C’est une forme de mort inconnue qui s’y présenta. Elle était en acier et renvoyait des reflets métalliques. Elle avait été pensée dans les moindres détails, avait fait l’effet de nombreux exercices.. La mort qui débarqua à Bodskär était humaine et moderne. […] Le problème était que la mort se trouvait déjà à Bodskär. Celle là était noire et terrifiante. Elle était séculaire, boursouflée et empestait le poisson pourri, la graisse de phoque et le bois vermoulu. ». Le voyage de Grand-mère raconte l’interminable voyage de deux créatures venues trimballer leur aïeule. Transporter Mémé, qui au passage a bien connu Yog-Sothotth, n’est pas une sinécure : il faut une auge, un van et de quoi l’alimenter. Un récit bien barré quoiqu‘un peu long.
Bref on en redemande.
1 Il s’agit bien du quatrième étage de la pension de Trossen et non du troisième comme indiqué sur le 4e de couverture.
Cinq longues nouvelles et autant de « fragments » constituant une sorte de fil rouge composent ce recueil où Anders Fager nous ouvre les portes d’un Stockholm et d’une Suède où l’horreur s’embusque juste là, au coin de la rue, où on l’attend le moins – un univers glauque et fiévreux découvert, on s’en souvient, avec Les Furies de Borås (critique in Bifrost no 75). Reste que pour ce deuxième recueil, si l’impact est moindre, l’ensemble n’en demeure pas moins accrocheur.
« Le Chef-d’œuvre de mademoiselle Witt » nous ramène cinquante ans en arrière, quand Christopher Priest était un jeune écrivain dynamitant tout qui nous balançait « La Tête et la main » en pleine poire. Anders Fager a beau ajouter une forte dose de stupre au thème, le texte n’a pas la violence radicale de celui de Priest mais se pare d’un certain effet gore. L’écriture offre toutefois des qualités plus que suffisantes pour qu’il soit impossible de lâcher le livre bien que l’on sente vite où l’auteur veut nous mener. On sait, mais on suit…
Si l’on ne meurt pas au quatrième étage de la maison de retraite, l’horreur peut s’y tapir, dissimulées sous l’apparence d’inoffensives mises en scène d’antiques cérémonies.
Un effroi tout lovecraftien peut surgir des eaux baignant l’archipel de Stockholm à l’occasion d’une opération militaire ultrasecrète de chasse au sous-marin russe en cette fin de Guerre froide et ne laisser que mort et folie sur son passage.
Après avoir livré son chef-d’œuvre, My Witt ne pouvait que découvrir l’hospitalité morbide de l’hôpital psychiatrique, haut lieu hermétique de toutes les violences et sadismes qui peuvent s’y donner libre cours, exacerbés par l’impunité dont les auteurs se sentent investis.
Yog-Sothoth est de la partie pour conclure en beauté « Le Voyage de Grand-Mère ». Les petits enfants d’un clan de… de quoi ? Loups garous ? entendent faire traverser la plus grande partie de l’Europe à leur génitrice monstrueuse, crevant de peur et la suintant autour d’eux dans des relents de puanteur indicible que la pluie peine à laver.
Dans ce recueil, on patauge dans la pisse, la merde, le foutre, jusque par-dessus les bottes, à quasiment toutes les pages. Tout le livre exhale l’odeur fade des couches, de l’hospice à l’hôpital psychiatrique. Les odeurs sont là, omniprésentes, conférant au recueil quelque chose du pire ou du meilleur (comme on veut) du Clive Barker des « Livres de Sang ». Le varech et les corps en décomposition donnent un contrepoint olfactif et horrifique rappelant combien Les Furies de Borås empestait plus qu’à souhait le poisson pourri.
Anders Fager questionne les limites et la fusion de l’art et de la pornographie, interroge ces lieux d’enfermement que sont les asiles psychiatriques et les hospices où la société entend circonscrire mort et folie ; il exhibe la peur que des sociétés soi-disant tolérantes et démocratiques engendrent de part et d’autre de la différence, nous entraîne dans les zones d’ombre oppressantes d’un monde étreint par l’angoisse, s’apparentant ici à l’école policière scandinave très en vogue aujourd’hui.
L’horreur selon Anders Fager ne vous glace pas tant les sangs qu’elle vous laisse le cœur au bord des lèvres, mais une chose est certaine : le Suédois sais jouer à merveille de la palette d’effets qu’il s’est choisi. Si vous appréciez la littérature d’horreur scatologique, c’est le livre qu’il vous faut.