BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France) Date de parution : 15 février 2018 Dépôt légal : février 2018, Achevé d'imprimer : février 2018 Première édition Roman, 200 pages, catégorie / prix : 17,90 € ISBN : 978-2-84344-929-1 Format : 13,0 x 20,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
« Kij Johnson a un don sans pareil
pour rendre l'irréel réel et le réel irréel. »
URSULA K. LE GUIN
Clarie Jurat a disparu. Nul ne sait où, mais il semblerait qu'elle se soit enfuie en compagnie d'un homme… un homme venu du monde de l'éveil. Au sein du Collège de femmes d'Ulthar, c'est la consternation : pareille fugue pourrait remettre en cause l'existence même de l'institution. Pour Vellitt Boe, le temps est venu d'abandonner ses atours confortables de professeure vieillissante au profit de sa défroque oubliée de voyageuse émérite ; retrouver son élève est impératif. Une quête qui la conduira loin, bien plus loin qu'elle ne l'imagine, d'Ulthar à Celephaïs, au-delà même de la mer Cérénarienne, jusqu'au trône d'une ancienne connaissance, un certain Randolph Carter…
Née à Harlan dans l'Iowa, en 1960, Kij Johnson est l'auteure de deux romans et d'une cinquantaine de nouvelles et novellas. Si elle partage aujourd'hui son temps entre ses activités de romancière et les cours qu'elle dispense à l'Université du Texas, elle fut longtemps responsable éditoriale (chez Tor Books, Dark Horse Comics ou TSR), après avoir été libraire indépendante, éditrice de mots croisés cryptiques, publicitaire pour une radio locale ou encore serveuse dans un strip bar… Un pont sur la brume, son premier titre publié en France, a cumulé les distinctions des deux côtés de l'Atlantique : Hugo et Nebula Awards 2012, Grand Prix de l'Imaginaire 2017. Avec La Quête onirique de Vellitt Boe, lauréat du prestigieux World Fantasy Award 2017, Kij Johnson signe un stupéfiant prolongement à l'un des grands classiques de H. P. Lovecraft, sans oublier d'en explorer sa faille la plus patente : la place qu'il y réserve aux femmes.
Après une nouvelle publiée en 2002 chez l’Oxymore, puis deux textes dans la revue numérique Angle mort, on avait véritablement découvert Kij Johnson avec Un Pont sur la Brume, publié au Bélial’ au sein de la collection « Une Heure-Lumière ». Cette novella, déjà couronnée des prix Hugo et Nebula aux États-Unis, avait été récompensée du Grand Prix de l’Imaginaire 2017. Le Bélial’ poursuit sa (re)découverte de l’auteure avec un autre texte primé, cette fois-ci aux World Fantasy Awards, La Quête onirique de Vellitt Boe.
Les plus sagaces d’entre vous auront noté que le titre fait ouvertement référence à « La Quête onirique de Kadath l’inconnue » signé H.P. Lovecraft. Rien de plus normal, puisque ce texte s’en inspire tout en proposant une relecture originale de l’œuvre de l’écrivain de Providence. Vellitt Boe, professeur au Collège des Femmes d’Ulthar, n’a plus l’énergie de sa jeunesse. Pourtant, lorsqu’une de ses élèves, Clarie Jurat, s’enfuit avec un homme du monde de l’éveil qui lui fait miroiter des millions d’étoiles, elle décide de se lancer à leur poursuite pour ramener la jeune femme. C’est le début d’un long périple, où elle croisera goules, zoogs, gugs et autres ghasts, sans oublier le principal protagoniste lovecraftien des Contrées du Rêve, Randolph Carter.
On avait salué à la parution d’Un Pont sur la brume un récit universel susceptible de parler à n’importe qui. Bien sûr, La Quête onirique de Vellitt Boe peut se lire sans avoir de référence en tête – on a en effet affaire à une traditionnelle quête de fantasy, avec rencontres improbables, paysages somptueux, la non moins traditionnelle carte, et de jolies illustrations de Fructus, lovecraftien devant l’éternel. Et ce quand bien même l’héroïne est vieillissante, ce qui, au passage, confère une patine d’humanité supplémentaire. Mais on ne saurait trop conseiller à ceux qui l’auraient oublié de se remémorer avant la présente lecture les récits de Lovecraft dont sont inspirées les péripéties de Vellitt Boe : le propos de l’auteur n’en est que plus éclairé – quand bien même celle-ci livre certaines clés dans l’entretien en fin d’ouvrage, on profitera davantage des différents clins d’œil dont Johnson parsème son histoire. Hommage respectueux à un ensemble de textes classiques du genre, La Quête onirique se permet néanmoins une innovation de taille que HPL aurait sans doute considéré avec un léger malaise, voire des sueurs froides : son personnage central n’est autre… qu’une femme ! Quiconque a lu les écrits de Lovecraft sait qu’il ne mettait jamais en scène de personnage féminin, ou alors dans des rôles pour le moins secondaires. Son rapport à la gente féminine, son mariage avec Sonia Greene, notamment, a souvent été analysé, il n’est pas ici question d’y revenir, mais de signaler combien le déséquilibre est patent dans son œuvre – et dans celle de la plupart de ses continuateurs, d’ailleurs – entre protagonistes masculins et féminins. D’une certaine manière, Kij Johnson rééquilibre la balance. Elle va même plus loin, réduisant, dans un effet miroir, les hommes à des rôles secondaires, Randolph Carter y compris. Sans oublier d’enfoncer définitivement le clou par rapport au canon lovecraftien en faisant de certaines de ses protagonistes des lesbiennes, voire des bisexuelles ! Et avec une subtilité épatante, s’il vous plait : tout ceci paraît aller de soi, et ne prend jamais le pas sur le plaisir qu’on a à suivre les pérégrinations de Vellitt Boe.
Admirablement traduite par Florence Dolisi, joliment réalisée, cette quête constitue un excellent prétexte pour parcourir à nouveau cet univers foisonnant et onirique que sont les Contrées du Rêve.