« - Le mariage est la seule solution, mon fils, lui dit-elle doucement. Sinon, ils te tueront.
Elle lui prit la main; la pressa sur son visage. Elle adressa le reste de son discours à ses doigts :
- En vertu des Articles, tu es mon esclave. Tu m'appartiens. Un esclave n'a aucun droit, ici. Si quelqu'un tue mon esclave, il devra me dédommager, bien sûr, mais ce sera une simple question d'argent. Un mari, c'est tout à fait différent. Cela signifierait que tu es un membre de la famille. Un membre de la compagnie des Trente Capitaines. Protégé par la pleine autorité des Articles, tu vois ? »
Wilson Lander, casanier maladif, s'ennuie dans la vie. Un travail loin d'être passionnant, une relation amoureuse dans laquelle il ne s'épanouit guère, en somme, la routine dans tout ce qu'elle a d'usant. Mais lorsque Criquet, une ravissante et mystérieuse jeune femme, surgit dans sa vie pour lui offrir la grande Aventure sur un plateau, Wilson n'hésite pas longtemps avant de tout plaquer. Il la suivra donc comme membre de l'équipage du Compound Interest, un yacht ultramoderne appartenant à un riche industriel qui s'apprête à effectuer le tour du monde. Car les beaux yeux de Criquet ont révélé à Lander sa véritable personnalité : il est joueur, comme l'était son père avant lui, et le danger au-devant duquel il navigue fait aussi partie de la donne, dans cette nouvelle vie.
L'un des bonheurs du chroniqueur est d'être amené à lire des ouvrages que, simple lecteur, il n'aurait pas même eu l'idée de feuilleter, et d'en éprouver parfois (parfois seulement, hélas) de vives satisfactions. La fille du pirate en est une. Non pas que l'intrigue soit particulièrement originale, ni le thème révolutionnaire. Tout au contraire : c'est justement parce qu'il exploite de manière intelligemment réactualisée un poncif de la littérature d'évasion que ce roman mérite toute l'attention du lecteur. Parce que le roman d'aventure maritime (peuplé de pirates le cas échéant) a été largement balisé au XIXe siècle (par Stevenson ou Poe pour ne citer qu'eux) et dans la première moitié du XXe siècle (notamment par Jean Ray sous son pseudonyme de John Flanders), on en oublierait presque que la piraterie est encore un phénomène bien contemporain (allez voir sur le site du Ministère des Affaires étrangères si vous en doutez !) et à même d'inspirer de trépidants récits aux auteurs qui ont l'audace de se frotter au genre. Bien sûr, le pirate n'est plus le flibustier éthylique qui enterre son magot dans l'île de la Tortue, ni le cynique bootlegger de la Prohibition : aujourd'hui, il rançonne les riches plaisanciers au large de quelque paradis fiscal... Tout en restant délicieusement classique, Girardi a donc signé un roman très actuel, qui possède surtout les deux qualités essentielles à tout récit d'aventures réussi : captiver le lecteur et le dépayser... avec en bonus l'identification au protagoniste, trop tentante pour qu'on se prive d'y succomber. Un peu de bovarysme ne saurait faire de mal !
Bon, maintenant que j'ai dit tout le bien que je pensais de ce roman, j'aimerais que quelqu'un m'explique pourquoi l'éditeur a jugé pertinent de faire paraître dans une collection fantastique un roman qui ne contient absolument aucun élément caractéristique de ce genre (à moins d'aimer les raisonnements tirés par les cheveux ou d'être d'une exceptionnelle mauvaise foi). Acharnement à faire rentrer chaque texte dans une case préétablie ? Ignorance de l'éditeur ? Discrédit du roman d'aventure ? Peu importe, après tout. Le fâcheux résultat est là : celui qui pénétrera dans la collection par cette première porte se posera immanquablement des questions sur la définition du genre... et ne parlons pas de celui qui aurait déjà lu des titres comme Un bébé pour Rosemary (de Ira Levin), La maison des damnés (de Richard Matheson) ou Neverwhere (de Neil Gaiman), dans la même collection : il se sentira dupé, ou pire, trahi. Bref, mesdames et messieurs les éditeurs, il n'y a aucune honte à publier des récits d'aventure sous une dénomination explicite, surtout lorsqu'il s'agit de textes aussi efficaces que La fille du pirate.