Aux frontières indécises des régions hantées par les « Hobbits », non loin du pays imaginaire d'Alice, il existe un « Petit Royaume » de la vieille Angleterre où vivait un géant à barbe rousse nommé Gilles de Ham. « Ham n'était qu'un petit village, mais, en ces temps lointains, les villages étaient fiers et indépendants. »
Ainsi commence le premier de ces trois récits horrifiants et sublimes (« Gilles de Ham »,« Smith de Grand Wootton » et « Feuille de Niggle ») qui entourent l'œuvre maîtresse de Tolkien. Avec la précision des poètes et le sérieux des historiens et des géographes, le célèbre professeur d'Oxford nous ouvre des mondes oubliés et immémoriaux et nous replonge au cœur de notre enfance.
1 - Avant-propos, pages 9 à 10, introduction, trad. Francis LEDOUX 2 - Le Fermier Gilles de Ham (Farmer Giles of Ham, 1949), pages 11 à 66, nouvelle, trad. Francis LEDOUX 3 - Smith de Grand Wootton (Smith of Wootton Major, 1967), pages 67 à 102, nouvelle, trad. Francis LEDOUX 4 - Feuille, de Niggle (Leaf by Niggle, 1964), pages 103 à 129, nouvelle, trad. Francis LEDOUX 5 - Du conte de fées (On Fairy-Stories, 1939), pages 131 à 214, essai, trad. Francis LEDOUX
Tous ceux qui ont éprouvé les charmes de l'Anneau, tous les Gollum et toutes les Reines des Elfes, plus quelques Orques, tous les compagnons de Gandalf, de Frodo et de tant d'autres peuvent se réjouir. 10/18 reprend quelques textes qui ont tous un rapport avec le Monde. Quelques récits et un essai. Sur les récits, je ne dirai rien, car ils sont à lire. On y voit faire des gammes, des exercices de style le futur maître du Seigneur des Anneaux. Pour ce qui regarde l'essai, intitulé Du conte de fées, on ne peut que conseiller de le lire à tous les amateurs de merveilleux, de fantastique et même de SF. Sans être d'une grande profondeur théorique, ce texte nous rend perceptible une attitude dont découle une technique d'écriture. Ses réflexions sur la « fantasy » (traduit ici par « fantaisie » ce qui est faux mais je vois mal en français ce qu'il aurait fallu trouver ! « imaginaire » peut-être ?) sont d'une justesse de ton assez remarquable, même si, en ce qui concerne les origines du conte c'est déjà plus discutable. Mais plus que le contenu, c'est le ton qui charme. 10/18 publie aussi, en bilingue, les Aventures de Tom Bombadil. J'y suis bien moins sensible, mais je pense que c'est à feuilleter pour voir si on est en phase avec. En tout cas ce n'est pas une chose à ignorer. Bonne lecture de délassement, et aussi parfois d'émerveillement.
Cette nouvelle édition de Faërie, plus hétéroclite que l’originale, comprend deux textes évoqués par ailleurs dans ce guide de lecture : nous ne reviendrons donc pas ici sur l’essai « Du conte de fées » qui justifie son titre, repris dans une nouvelle traduction dans Les Monstres et les critiques, et pas davantage sur Les Aventures de Tom Bombadil. Restent deux poèmes et trois contes.
« Le Retour de Beorhtnoth » est un poème dramatique en vers allitératifs, adapté en son temps pour une version radiophonique, et qui constitue en quelque sorte une « suite » au poème vieil-anglais « La Bataille de Maldon ». Ce dialogue entre deux serviteurs d’un roi qui a péri avec son armée en raison de son orgueil mal placé (ce qui justifie une longue « postface » de Tolkien, le texte ayant d’abord été publié comme un essai) traite ainsi de manière critique des notions de chevalerie et de courage, d’honneur et de guerre, et entre en résonance avec d’autres œuvres tolkieniennes (on pense notamment à ses essais sur Beowulf et Sire Gauvain et le Chevalier vert, mais il est sans doute également possible d’établir des liens avec, par exemple, le personnage de Boromir dans « Le Seigneur des Anneaux »).
« Mythopoeia », très différent, se présente comme l’adresse de « celui qui aime les mythes » (Tolkien) à « celui qui ne les aime pas » (C.S. Lewis), car « ils ne sont que des mensonges […] quoique soufflés dans du Vermeil ». Ce poème passablement complexe éclaire (dans une certaine mesure…) les relations entre les deux amis et auteurs.
Les trois contes en prose de ce recueil, qui illustrent les conceptions exposées dans « Du conte de fées », sont de même très divers. Le plus intéressant est probablement « Feuille, de Niggle », jolie allégorie (de la part d’un auteur qui ne prisait pourtant guère le genre) fortement teintée de connotations chrétiennes et de références autobiographiques, traitant de l’art, de la sub-création et de la mort, par le biais du peintre « Fignoleur », qui s’acharne à représenter des feuilles dans le plus grand détail, mais peine pour rendre un arbre dans son ensemble…
« Le Fermier Gilles de Ham », conte fondateur du « Petit Royaume » (en Angleterre), est autrement plus léger. Ce texte plein d’humour – à vrai dire limite parodique – évoque un simple paysan qui, ayant chassé un géant par un coup de chance, se voit auréolé d’une réputation de héros le conduisant à lutter contre un dragon… Mais le bonhomme a de la ressource. Un aperçu, sans doute, de ce que Tolkien aurait pu faire en dehors du « Légendaire ».
Reste enfin « Smith de Grand Wootton », sans doute le récit le plus classique des trois, puisqu’il s’agit d’une variation sur le thème de l’homme marqué par la Faërie, qui passe sa vie à errer du monde des mortels à celui des fées.
De toute évidence, nous ne sommes pas là en présence du meilleur Tolkien, tant la distance est grande entre ces œuvres courtes et « simples », et la démesure du « Légendaire » et des romans de hobbits qui font la singularité de l’auteur. C’est néanmoins une lecture fort agréable, qui permet d’entrevoir d’autres facettes de la production tolkiénienne, tant en vers qu’en prose.
Bertrand BONNET Première parution : 1/10/2014 Bifrost 76 Mise en ligne le : 21/4/2020
Lors de la sortie du film La Communauté de l’Anneau en 2001, il a été possible de réaliser la popularité du personnage de Tom Bombadil, dont l’absence remarquée (c’est peu dire) dans l’adaptation de Peter Jackson a fait couler beaucoup d’encre et de larmes de frustration chez les fans déçus. Cet être tout en rondeurs et en joie et, surtout, très proche de la nature, se trouve être le héros de quelques-uns des poèmes qui constituent ce livre portant le nom du joyeux drille.
En effet, comme son titre ne l’indique pas, Les Aventures de Tom Bombadil est un recueil de poésies ne parlant d’ailleurs pas forcément de la Terre du Milieu, mais qui sont toutes habitées par le même mystère et, exception faite de la dernière, par la même bonhomie. Cependant, il faut bien le reconnaître, J.R.R. Tolkien n’est pas le poète le plus admirable qui soit, loin de là. S’il applique effectivement quelques règles poétiques et s’amuse avec certaines figures de style, ses poèmes ressemblent plus à de petites comptines parfois un peu gentillettes dont la recherche formelle ne convainc pas toujours. Elles n’en restent pas moins agréables à lire, mais seront malheureusement très vite oubliées.
Sont-elles à mettre de côté pour autant ? Non, et ce serait bien dommage de le faire. Déjà parce que « Les Aventures de Tom Bombadil » et « Bombadil en bâteau » nous en apprennent un peu plus sur ledit personnage. Mais également car les textes mettant en scène le Troll ou l’Homme dans la Lune (TheManontheMoon, cet être fantastique anglo-saxon que l’on connaît moins par ici) réveillent sourires et imagination. Cependant, s’il faut retenir quelque chose de ces petites histoires proches de chansons, c’est la beauté discrète qui se dégage de certaines d’entre elles. Ainsi, celle qui se démarque le plus est « Le Dernier vaisseau », qui nous ramène en Terre du Milieu et nous laisse découvrir quel choix fera la belle et humaine Fíriel quand les elfes lui proposeront de les accompagner dans leur « dernier » voyage…
Les Aventures de Tom Bombadil est donc un petit recueil anecdotique mais qui distraira gaiement les aspirants voyageurs en Terre du Milieu. Pour les curieux.
Sophie CORRADINI Première parution : 1/10/2014 Bifrost 76 Mise en ligne le : 12/11/2022