ACTES SUD
(Arles, France), coll. Babel n° 1643 Dépôt légal : septembre 2019, Achevé d'imprimer : janvier 2020 Retirage Roman, 736 pages, catégorie / prix : 11,50 € ISBN : 978-2-330-12511-0 Format : 11,0 x 17,6 cm✅ Genre : Science-Fiction
Bien que la quatrième de couverture mentionne Stephan Martiniere comme illustrateur de la couverture, celle-ci est l'œuvre de Mike Winkelmann (Martiniere avait réalisé l'illustration de couverture du grand format). L'erreur sera corrigée dans les rééditions ultérieures de l'ouvrage.
L’humanité le sait désormais : dans un peu plus de quatre siècles, la flotte trisolarienne envahira le système solaire. La Terre doit impérativement préparer la parade, mais également faire face aux intellectrons qui permettent aux Trisolariens d’espionner toutes les conversations et tous les ordinateurs. En revanche, ils sont incapables de lire dans l’âme humaine.
Le Conseil de défense planétaire imagine donc un nouveau projet : le programme Colmateur. Quatre individus seront chargés d’élaborer chacun de leur côté des stratégies pour contrer l’invasion ennemie. Livrés à eux-mêmes, ils devront penser seuls, et brouiller les pistes. Trois des hommes désignés sont des personnalités politiques et des scientifiques éminents, mais le quatrième est un parfait anonyme. Ce dernier ignore totalement la raison pour laquelle on lui confie cette mission. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il est désormais l’un des Colmateurs, et que les Trisolariens veulent sa mort.
Après Le Problème à trois corps, Liu Cixin revient avec une suite haletante et magistrale.
Né en 1963, Liu Cixin est une véritable légende de la SF en Chine. Sa trilogie à succès est disponible chez Actes Sud : Le Problème à trois corps (2016), La Forêt sombre (2017) et La Mort immortelle (2018).
Après le succès de curiosité du Problème à trois corps, Actes Sud publie un an après le deuxième volet de la trilogie de Liu Cixin, La forêt sombre. On a le sentiment qu’au bout de plusieurs parutions la collection Exofictions trouve enfin sa vitesse de croisière. Elle s’est fendue à l’occasion d’une quatrième de couverture en nette amélioration. Espérons qu’une petite main aura la brillante idée de refaire celle du premier tome lors d’une réédition chez Babel (l’équivalent Poche d’Actes Sud).
Autant tuer le suspens immédiatement : l’auteur a créé un space opera monumental. Les mystérieuses prémisses plantées dans le premier volume donnent lieu ici à des développements et un début de conclusion aux dimensions d’une épopée. Qu’on se le dise, la SF de Grand-Papa, celle d’Isaac Asimov, celle d’Arthur Clarke est de retour et tant pis pour les grincheux. Long (650 pages), un peu poussif -hard SF oblige- l’objet avance dans le marasme éditorial actuel comme un croiseur dessiné par Manchu.
Rappelons les faits. Durant la Révolution culturelle, la jeune Ye Wenjie assiste impuissante à la lapidation de son père par des Gardes Rouges. Son aversion pour une Humanité vouée à la violence trouve des années plus tard un débouché au hasard d’une affectation dans un observatoire astronomique en Mongolie. Elle rentre en contact avec une espèce extraterrestre, les Trisolariens, condamnés à fuir une planète à l’agonie. Décidés à envahir la Terre et aidés en cela par une organisation humaine secrète, ceux-ci bloquent toute avancée en matière de recherche fondamentale.
Dans le second volume, l’Humanité prépare sa défense. Face à un adversaire au courant de ses moindres faits et gestes, elle nomme quatre Colmateurs ayant pour mission d’élaborer dans le plus grand secret des plans d’actions. Des moyens quasi illimités leurs sont alloués. En réaction les Trisolariens leurs opposent quatre Fissureurs terriens chargés de percer leurs stratégies. Tous les humains ne sont pas d’accord avec cette marche à suivre. Certains prônent une solution d’évasion sélective, très courante d’ailleurs dans la SF anglo-saxonne, mais à laquelle s’oppose violemment Zhang Beihai.
Le plus insignifiant des Colmateurs, Luo Ji, attire particulièrement l’animosité des envahisseurs, car il est indéchiffrable. Amoureux d’un fantôme, il semble se réfugier dans ses rêves et oublier sa mission au désespoir des autorités. Héraut d’une nouvelle science, la cosmosociologie, un souvenir de la psychohistoire d’Asimov, ce scientifique ressemble à un Harry Seldon revu par Haruki Murakami. A ses côtés on retrouve le malicieux commissaire Shi Qiang et un autre fort personnage le commissaire politique Zhang Beihai, une spécialité bien chinoise, militaire de devoir autant idéologue que génial stratège. Comme Luo Ji il détient les clefs de l'avenir. Mais leurs chemins divergent.
La narration s’étale sur deux cent ans. Des humains disparaissent, d' autres choisissent l’hibernation pour devancer l’appel dans leur désir de combattre les Trisolariens. Comment vit t-on à l'ombre d'une menace s'étalant sur plusieurs siècles ? Liu Cixin aborde là un thème traité jadis par John Brunner dans Le Creuset du temps. La fin élégante en forme de paradoxe de Fermi ne déçoit pas. Vivement la suite.
Si Le Problème à trois corps, best-seller improbable chroniqué dans notre 85e livraison, figure sur votre pile de lecture, passez d’emblée à la critique suivante : la présente chronique révèle quelques éléments-clé du premier volume (et évitez de même de lire la quatrième de couverture du présent bouquin : elle spoile éhontément). De fait, ce deuxième volet de la trilogie de Liu Cixin débute peu de temps après le volume initial et nous présente une Terre en état de crise : tandis que les intellectrons trisolariens espionnent notre planète et bloquent le développement de certains pans cruciaux de la recherche scientifique, la flotte extraterrestre est en route et atteindra le Système solaire dans quatre siècles – autant dire demain. Un délai toutefois assez long pour que des solutions soient envisagées, du moins si l’humanité ne se laisse pas aller au défaitisme ou à l’évasionnisme. Sous l’impulsion des Nations Unies, le programme Colmateur est ainsi mis en place : quatre individus – un ancien secrétaire d’État américain à la défense, un ex-président vénézuélien, un chercheur britannique et un quidam chinois — bénéficient de moyens illimités pour trouver des stratégies secrètes permettant de vaincre les Trisolariens. Le Chinois, c’est Luo Ji, qui ne sait pas pour quelles raisons on l’a choisi. De plan, il n’en a guère non plus. De toute façon, impossible d’en parler : les intellectrons, ces « protons intelligents » envoyés par Trisolaris, surveillent tout ce qu’il se fait. Et si les Trisolariens, incapables de différencier la pensée de la parole, ignorent de ce fait le mensonge, ce n’est pas le cas de leurs sympathisants humains réunis dans l’Organisation Terre-Trisolaris : leur riposte consiste à associer à chaque Colmateur un Fissureur, chargé de le comprendre et de le briser. Mais Luo Ji sera son propre Fissureur. L’humanité a-t-elle encore une chance ? Surtout quand les Fissureurs triomphent un à un des Colmateurs et que la seule chose que fait Luo Ji est… rien.
Épais pavé, La Forêt sombre exacerbe les défauts du Problème à trois corps : le roman est long et bavard, parfois jusqu’à l’excès, en particulier dans sa première moitié. Les protagonistes demeurent encore trop lisses, et les rares personnages féminins sont traités avec un romantisme confinant souvent à la mièvrerie. Enfin, sur quelques points de détail, il faut parfois suspendre son incrédulité plus qu’à l’accoutumée (toute proportion gardée pour un roman de genre).
Il n’empêche : ces défauts mis à part, La Forêt sombre ne manque pas de souffle ni d’ambition, et cette suite au Problème à trois corps finit par emporter le morceau. Dans un contexte de fin du monde quasi imminente, les différents types de réponses (sociales, militaires, etc.) à l’invasion d’un ennemi surpuissant sont passées en revue en profondeur. Si les deux premières parties du roman traînent certes en longueur, la dernière, plus orientée vers l’espace, s’avère brillante, avec un lot de scènes et de réflexions saisissantes. Dans les premières pages, Liu Cixin énonce les deux axiomes de la cosmosociologie (survivance et croissance dans un univers aux ressources finies), et propose en fin de compte une réponse extrêmement décourageante au paradoxe de Fermi – c’est d’ailleurs de cette réponse que provient le titre du roman.Le Problème à trois corps s’achevait sur une note sombre ; La Forêt sombre se termine sur un statu quo fragile, qui donne envie de lire au plus vite le troisième et dernier volet de la trilogie.
Erwann PERCHOC Première parution : 1/1/2018 Bifrost 89 Mise en ligne le : 4/4/2023