L’auteur s’est trompé de collection : son roman n’est pas destiné aux adultes, mais aux adolescents. Pourquoi alors ne pas le présenter comme tel ? Parce que le héros, Pascal, et sa cousine Douce, qui ont seize ans, sont amoureux l’un de l’autre, se le disent, ne s’en cachent pas, et qu’autour d’eux cela se sait et se voit d’un bon œil. Du coup, maîtres jésuites et censeurs laïques se voileraient la face et hurleraient à l’obscénité. Ne croyez pas que je charge, c’est hélas vrai. Ainsi la Comtesse de Ségur se vit reprocher des personnages « chez qui s’éveillait ce sentiment poussant au mariage ».
Cela dit, L’étoile des Baux est un parfait ouvrage pour l’ancienne Bibliothèque Rose, celle qui croquait des personnages aussi pittoresques que la tante Estelle, toujours sautillante comme une cabrette, entourée de musiciens et de farandoleurs, et embarquant tout son monde dans une Rolls longue comme un torpilleur, solide comme un char, vaste à loger trois escouades, pour fêter les sites provençaux ou goûter simplement la douceur de la nuit.
Mais vite l’insolite apparaît. Douce n’est pas d’ici mais d’un autre monde, très sage, très savant, mais qui meurt, faute de jeunesse. Ce monde l’appelle, l’entraîne d’abord dans l’univers souterrain de l’Ombre, puis sur la planète des rêves sans gaîté.
Douce semble revenir une première fois, rappelée par l’amour de Pascal. Mais l’envoûtement est le plus fort, et elle repart. Pour la sauver définitivement, il faut que la Terre fasse retentir l’appel des bêtes et de la nature, bouclant ainsi un mince et agréable récit, empreint de poésie.
Voilà sans doute pourquoi ce livre est offert aux adultes. Ce charme lancinant des choses et de la jeunesse qu’évoquent ces pages avec un bonheur réel, l’adolescence n’en a que faire ; il faut en avoir perdu l’usage pour le goûter.
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/9/1967 dans Fiction 166
Mise en ligne le : 12/11/2022