Yirminadingrad est une ville peuplée de réfugiés de guerre bulgares et grecs, turcs et mycrøniens, et de fantômes qui n’arrivent pas à accepter leur mort. Ses habitants sont hantés par leurs propres démons, les cauchemars se confondent avec la réalité et les mauvais pressentiments se font funestes prémonitions. Chacun des récits qui se tissent dans cette ville imaginaire d’Europe de l’Est est un témoignage sur la guerre, sa folie et sa violence.
Chaque narrateur de ce recueil de nouvelles partage un morceau d’histoire, la sienne, qui se mêle aux autres dans un entrelacs de béton sombre et cynique. Une œuvre exigeante et poétique, dont la plume s’adapte aux différentes voix qu’elle porte.
Léo Henry naît à Strasbourg en 1979. Il est l'auteur de très nombreuses nouvelles, notamment du cycle consacré à Yirminadingrad, coécrit avec Jacques Mucchielli, et des « Trois livres qu'Absalon Nathan n'écrira jamais », nouvelle parue dans l'anthologie Retour sur l'horizon, aux Éditions Denoël, lauréate du Grand Prix de l'Imaginaire en 2010.
Jacques Mucchielli est né en 1977. Il a écrit pour le jeu de rôle et le jeu vidéo et publié des essais de philosophie politique, avant de se lancer dans l'écriture de quatre livres avec Léo Henry et d'une poignée de nouvelles de science-fiction. Il décède brutalement en 2011, à l'âge de trente-quatre ans.
1 - Cheval cauchemar, nouvelle 2 - Attentat de personne, nouvelle 3 - Diabolo manque, nouvelle 4 - …toutes les flammes sont égales…, nouvelle 5 - Power Kowboy, nouvelle 6 - Dans le noir, nouvelle 7 - Histoire du captif et du prisonnier, nouvelle 8 - Tarmac-Penthouse/dernier rapport de télésurveillance, nouvelle 9 - Demain l'usine, nouvelle 10 - Ces photos de moi que l'on n'a jamais prises, nouvelle 11 - Evgeny, l'histoire de l'art et moi, nouvelle 12 - 10101 (rhapsodie), nouvelle 13 - Au-delà il n'y a que le ciel, nouvelle 14 - Sache ce que je te réserve, nouvelle 15 - Clair de lune, chienne de ville, nouvelle 16 - La Pluie, extérieur jour, nouvelle 17 - Légende dorée de Saint Christophe, nouvelle 18 - Escale d'urgence (matériaux pour un adultère), nouvelle 19 - Journal de mon retour à la cité natale, nouvelle 20 - Et s'échapper des côtes rompues, et se répandre en nuées immenses, nouvelle 21 - Espace, un orphelin, nouvelle
Yirminadingrad, petit port de la mer noire, a visiblement mal vécu la transition au capitalisme après la chute de l'URSS. Car il n'y a guère d'espoir dans cette ville : l'industrie périclite, les chiens redeviennent sauvages, la violence est omniprésente... A une guerre avec un pays voisin s'ajoutent même des attentats suicides.
La vingtaine de textes de ce recueil, décrit autant de personnages de cette ville : ouvriers, enfants, flics nous racontent leurs douleurs, souffrances, perversions et malheurs.
On remarquera en particulier Demain l'usine, où, pour maintenir artificiellement les emplois, deux ateliers s'acharnent l'un à démonter la production de l'autre, rien ne sortant de la fabrique depuis 15 ans. L'absurde atteint son paroxysme le jour où la direction décide d'augmenter les cadences, ce qui déclenche ainsi une terrible grève puis des émeutes où les ouvriers inutiles, déjà désespérés depuis longtemps par ce simulacre de travail, retrouveront un semblant de dignité.
A l'opposé de ce texte militant, Sache que je te réserve est une référence évidente au Crash de Ballard : un pilote d'avion se livre à des ébats sexuels dans un simulateur de vol où il reproduit des crashs aériens.
Dans une veine expérimentale proche, Tarmac penthouse nous livre trois récits parallèles, imprimés sur trois colonnes, décrivant un trajet en voiture entre un aéroport et une maison. Est-ce la même histoire ou trois parcours différents ? Difficile de le savoir avec certitude.
Les 18 autres textes du recueil oscillent entre le réalisme prolétarien et une écriture expérimentale rappelant la speculative fiction. On pourra juste regretter que ces expérimentations rendent abscons un ou deux textes, notamment 10101 (rhapsodie) (les auteurs évitent d'ailleurs d'écrire le chiffre 21 tel quel tout au long du recueil).
On pourrait rapprocher Yama loka terminus de la science-fiction politique française des années 70, mais ce serait une erreur : ce livre profondément noir ne promet pas de lendemains qui chantent ni d'utopie verte. Au contraire, cette vision désabusée d'un futur possible à une Europe de l'Est vieillissante nie tout espoir de se raccrocher à la modernité.
Mais même si le futur n'y est pas vraiment joyeux, allez visiter Yirminadingrad : on y trouve un ensemble d'histoires très fortes, peuplées de personnages formidables dans leurs folies et leur désespérance, soutenues par une écriture belle et efficace.