Au fond d'une caverne des Alpes, un paléontologue découvre trois corps préservés par le froid depuis plus de dix mille ans. Une famille. Le couple est néandertalien, l'enfant semble moderne...
Kaye Lang, généticienne de génie, découvre que la partie silencieuse de nos gènes recèle d'anciens virus et une surprenante machinerie qui vient de s'enclencher. Une maladie terrifiante, le syndrome de SHEVA, se met à frapper les femmes. L'humanité va-t-elle disparaître ? Ou bien va-t-elle accomplir un nouveau bond sur l'échelle de Darwin, la voie de l'évolution ?
Un roman haletant sur le thème qui viendra après l'humanité, par l'auteur de Éon, Éternité et Les Enfants de Darwin, entre autres.
Greg Bear est l'un des plus talentueux parmi les auteurs publiés par Gérard Klein dans sa collection Ailleurs & Demain. On se souvient avec plaisir d'Éon et d'Éternité, deux textes où l'environnement high-tech d'un futur lointain permettait à chacun de créer des environnements personnalisés autour de soi, et de communiquer de personne à personne à l'aide de « pictes ». Le changement de décor est ici total. Deux points de départ, l'un dans les Alpes suisses, l'autre dans un charnier géorgien. Dans les deux cas, un silence des autorités, une volonté de cacher un secret. Puis, distillée à petites doses dans le cadre d'enquêtes, de rencontres, de mensonges, de péripéties dignes d'un thriller d'espionnage, une atroce vérité se fait jour, emportant des zones friables de « civilisation » et laissant paraître à nu la sauvagerie humaine. De quoi s'agit-il ? Les charniers géorgiens contenaient uniquement des femmes enceintes. Pourquoi les avoir assassinées ? Dans les Alpes, au fond d'une grotte, une famille néandertalienne, avec un fœtus improbable. Et les liens entre ces deux points de départ ? Ils se révéleront à partir du moment où les femmes américaines — mais aussi ailleurs dans le monde — deviendront stériles, ou plutôt accoucheront de fœtus qui eux-mêmes se retrouveraient, comme d'emblée, « enceints ». Que faire qu'essayer de comprendre ce que les généticiens tentent. D'abord enrayer ce qu'ils pensent être une épidémie, puis une pandémie. Ensuite chercher. Et se poser sous une lumière nouvelle la question du mécanisme de l'évolution. Et se demander si nous sommes, en tant que sapiens sapiens, le fleuron terminal de l'évolution. Dans l'ADN des fœtus, des « virus » anciens, dormants jusqu'alors, semblent s'éveiller et programmer une nouvelle « race à venir ». Cela renvoie à la disparition des néandertaliens par rapport aux sapiens. Évidemment, choisir de ne pas avorter, de laisser faire ces néofœtus est un risque pour les humains, que quelques-uns acceptent. La fin du roman laisse voir de nouveaux Enfants. Légèrement différents. Cette émergence d'une nouvelle possibilité d'évolution de l'humain est traitée avec un grand souci du vraisemblable, avec un vocabulaire de type hard science, sans que la poésie et l'émotion soient absentes. On pourra, pour saisir les différences et voir comment la SF évolue, comparer à La Mort de la Terre de Rosny Aîné, au texte de Van Vogt À la poursuite des Slans, ou au beau roman de Sturgeon Cristal qui songe. Ces textes étaient les chefs d'œuvre d'une époque, celui-ci est un chef d'œuvre de la nôtre.
On ne présente plus Greg Bear. L'un des auteurs poids lourds de ces quinze dernières années. Eon et Éternité, La Reine des anges, L'Envol de Mars (déjà Nebula en 95), Oblique... autant d'ouvrages à avoir fait date. Cependant, L'Échelle de Darwin n'appartient pas à cette veine mid-time future qu'il affectionne tant. On y retrouve plutôt l'esprit de La Musique du sang (La Découverte, puis J'ai Lu), qui l'avait révélé en France en même temps que William Gibson.
Le Dr. Kaye Lang, héroïne de ce livre, ne croit plus que les gènes non-codants contenus en quantité dans le génome ne soient que des HERV (des rétro-virus endogènes humains), de l'ADN viral vestigiel se transmettant avec le patrimoine génétique. Elle en vient à penser que ces gènes répartis sur plusieurs chromosomes peuvent se recombiner pour redevenir actifs, susceptibles de transmission latérale, bref, en langage profane, contagieux. Lang est saltationniste, c'est à dire qu'en tant que biologiste, elle pense que l'évolution se fait par bonds quand les conditions sont propices — ou plutôt rendent le bond nécessaire — , par opposition aux gradualistes, tenant d'une évolution procédant par mutations aléatoires, en général néfastes, mais parfois pas, ces dernières s'imposant à la longue et permettant un ajustement permanent de l'espèce. On notera en passant que Bear, revenant à des idées déjà exposées dans Héritage (roman tout juste réédité au Livre de Poche), redonne un certain lustre à Lamarck en transcendant sa théorie — il n'est nullement question de transmission des caractères acquis mais d'une adaptation circonstancielle du génotype — soit une mutation globale et ciblée en fonction d'un potentiel existant.
Ainsi apparaît donc SHEVA, vecteur de la grippe d'Hérode : une maladie qui provoque des fausses couches suivies d'une seconde grossesse spontanée chez les femmes contaminées. Mais les bébés SHEVA meurent à la naissance...
Greg Bear met en scène, avec un brio certain, les conséquences d'une telle crise dans un contexte où les rapports entre les sexes sont ce qu'ils sont en Occident. Ajouter une pincée d'obscurantisme, une bonne grosse louche d'arrivisme politique bien démago, et on obtient un « printemps de SHEVA » (titre de la seconde partie) qui n'est pas sans rappeler celui de Prague. D'autant qu'il y a tout lieu de craindre la réémergence de maladies fossiles enfouies dans notre génome depuis des millions d'années, avant l'apparition de l'homme lui-même... La politique connaît sa traditionnelle dérive totalitaire en temps de crise.
Et comme de juste, on n'écoutera pas Kaye Lang... La voilà donc exclue des recherches et les « méchants » décident que SHEVA est une abominable maladie qu'il faut traiter et éradiquer, au moins par l'avortement... Narrativement, à partir du moment où Lang est exclue et où on passe donc sur un plan plus personnel, l'intérêt marque un certain fléchissement. Mais on en va pas moins au bout d'une traite.
Greg Bear y va aussi de quelques clins d'œil, du film Alerte ! (avec Dustin Hoffman, sur une épidémie d'ébola mutant) en passant par Robin Cook (celui des thrillers médicaux) et Michael Crichton. Après nous avoir promené d'un gisement alpin de momies néanderthaliennes à un charnier géorgien de femmes enceintes, ça se poursuit du CDC (Center for Disease Control) à Atlanta au NIH (National Institute of Health) de Bethesda. Ce qui nous permet d'appréhender combien la S-F est plus progressiste et supérieure au thriller en matière spéculative mais aussi de mesurer tout ce qu'elle lui rend en termes d'émotion.
Au final, L'Échelle de Darwin fait preuve d'un magnifique optimisme, où notre architecture génétique transcende la chute de Babel, générant une empathie inédite allant au-delà du mensonge, de l'inconscient et de ses névroses, résolvant les tensions proxémiques interculturelles qui s'accroissent en fonction des contacts et sont les causes profondes des racismes. On se prend à regretter que ce ne soit là que spéculations romanesques...
Et Greg Bear de donner ici peut-être son meilleur livre, une Échelle de Darwin qui n'a pas volé son Nebula 2000...
Dans les Alpes, une expédition retrouve les corps d'un couple de Néandertaliens parfaitement conservés. À leurs côtés, le cadavre d'un nourrisson, un petit Cro-Magnon, c'est à dire un Homo sapiens, un homme moderne, biologiquement parlant. Aurait-il été engendré par ces deux représentants d'une espèce différente ? Au même moment se déclenche une épidémie mondiale au sein de la race humaine : un mystérieux virus provoque des fausses couches en chaîne chez les femmes, puis de nouvelles grossesses inquiétantes. Il y a quelque chose de pourri dans notre espèce, mais de quoi s'agit-il ? Dans cette quête où se mêlent médecine, paléoanthropologie et génétique, l'humanité pourrait se trouver confrontée à un moment majeur de son histoire. Un tournant, ou peut-être la fin ? SHEVA, ce virus endogène, est-il l'instrument qui doit permettre à l'Homme de franchir un palier supplémentaire dans son évolution ? Et si oui, va-t-on le laisser accomplir son œuvre ?
Que ce soit par son format ou par son déroulement L'Échelle de Darwin ne détonne pas dans l'actuel paysage des pavés américains (dont Da Vinci Code est un autre exemple frappant) ; la trame narrative procède par sauts incessants de chapitre en chapitre (au nombre de 92 pour un peu moins de 800 pages, je vous laisse calculer leur longueur moyenne), de foyer d'intrigue en foyer d'intrigue. Une forme de découpage qui n'est pas sans évoquer les artifices par lesquels on cherche à étirer au montage le suspense d'une série américaine lambda : chaque courte scène se termine sur un mini-cliffhanger, qui ne sera pas résolu dans le chapitre suivant (lui-même exploitant une situation amorcée antérieurement), mais un ou deux chapitres plus loin. On en vient à se demander pourquoi les auteurs ou leurs éditeurs ne profiteraient pas un jour de cette forme de zapping narratif pour insérer une page de publicité entre deux chapitres... Bref, si l'action rebondit bel et bien pendant quelques centaines de pages, les contraintes et les frottements auxquels elle est soumise en chemin lui font assez rapidement perdre de son élasticité. C'est dommage.
Ce roman me laisse donc une impression mitigée. Bien sûr, l'hypothèse scientifique est extrêmement solide, intelligente, fouillée ; inutile de chercher à prendre Greg Bear en défaut sur ce terrain : c'est manifestement à cette dimension de son texte qu'il a accordé le plus d'attention et d'efforts. Et on reconnaît volontiers que son idée de départ en met plein la vue ; c'est sans doute ce qui a valu à ce roman le prix Nebula 2000 ainsi qu'un beau succès critique et public. Mais le déséquilibre qui en résulte apparaît d'autant plus flagrant : les personnages, les ressorts de l'intrigue, la narration, un peu convenus, semblent bien fades en comparaison. Or, ce sont justement tous ces éléments qui différencient un roman de science-fiction d'un essai prospectif ou d'un article de vulgarisation qui pourraient tenir dans un volume dix fois moindre. Bien sûr, la définition du genre hard-science est là pour rappeler qu'il s'agit de science avant tout... Mais tout de même, n'est-on pas en droit d'espérer d'un roman des ressources narratives plus riches ? D'autant que sur le plan scientifique, la ration est copieuse... L'auteur a beau vulgariser son propos avec une bonne volonté évidente, il y reste malgré tout quelques paragraphes pour lesquels il faut s'accrocher. Exemple, page 323 : « SHEVA déclenche l'apparition d'un complexe de polyprotéines. Celles-ci dissocient le cytosol hors du noyau. Des hormones lutéotropes, des hormones folliculostimulantes, des prostaglandines. » Oui, je sais, c'est en principe au programme de terminale. Mais le glossaire que l'on trouve en fin de volume n'est pas totalement superflu, si vous voyez ce que je veux dire...
Qu'ajouter ? Ce n'est pas une vague éventualité de sequel que laisse Greg Bear à la fin de son roman : c'est carrément Unter den Linden, avec la porte de Brandebourg au bout. La parution en 2003 d'une suite intitulée Les Enfants de Darwin (L'Empereur-Dieu de Darwin ne devrait plus tarder) ne surprendra donc personne, et ravira probablement les amateurs de hard-science. L'Échelle de Darwin est d'ores et déjà présenté comme un classique et à ce titre, il mérite l'attention de tout lecteur désireux de se mesurer à la science-fiction d'aujourd'hui. Mais on pourra lui préférer des œuvres où science et littérature s'épaulent de façon mieux équilibrée.
La généticienne américaine Kaye Lang découvre, dans un charnier en Géorgie, des cadavres de femmes enceintes. La guerre ne semble pas la cause de la mort. Au même moment, dans les Alpes suisses, est mis à jour un couple de Néanderthaliens enterré avec un bébé qui a toutes les apparences d'un « homo sapiens ». Ces découvertes qui passionnent les scientifiques sont occultées par un événement qui bouleverse la planète entière : le syndrome de Sheva pousse les femmes enceintes de tous les continents à des fausses couches. Peu après, les femmes se retrouvent à nouveau enceintes, sans nouvelles relations sexuelles, ce qui entraîne des crises familiales et des remises en cause religieuses. Le nouvel embryon s'avère difforme et ne survit pas longtemps à l'accouchement. L'humanité va-t-elle s'éteindre ? Des émeutes éclatent. Le gouvernement américain décide de placer toutes les femmes enceintes en quarantaine, sous la surveillance de l'armée. La première, Kaye Lang émet l'hypothèse que Sheva n'est pas un virus mais une nouvelle étape de l'évolution.
C'est un roman dans la pure tradition « hard science » que propose ici Greg Bear, n'hésitant pas, parfois, à noyer son lecteur dans le vocabulaire scientifique. Celui qui ne se laisse ni rebuter ni perdre dans le « bref glossaire scientifique final » découvre un roman passionnant. Par son intrigue d'abord, mouvementée, autour d'un vrai suspense planétaire. Mais, surtout, Greg Bear pose, sans ménagement, de vraies questions auxquelles notre époque est confrontée. L'obscurantisme qui gagne du terrain à la charnière des XXe et XXIe siècles va-t-il conduire l'humanité à rejeter la science et à travers elle cette chance que constitue l'évolution, niée par les plus fanatiques, prêts à éliminer les mutants qui pourraient voir le jour grâce à Sheva ? Face à ce danger mortel pour eux, les scientifiques sont-ils capables de mettre de côté leurs querelles, à se laisser guider par l'intérêt général et non par leur désir de réussite ou par l'appât du gain ?
À ces questions, les réponses ne sont pas données immédiatement. Mais nul doute que bien des lecteurs auront envie, la dernière page atteinte, de courir à la suite, publiée par Robert Laffont : Les Enfants de Darwin.