Il est grand temps que le monde entier apprenne ce qu’est la vraie fantasy.
Les lutins n’ont jamais été petits et mesurent, au bas mot, un bon mètre quatre-vingt. Les licornes, elles, sont des femmes qui n’ont de chevalin que leur coiffure tandis que les fées – les pires de toutes – sont des globules libidineux d’une demi-tonne. Et si personne n’est au courant, c’est parce que les auteurices profèrent d’odieux mensonges.
Et ça, ça ne plaît pas aux peuplades de l’irréalité.
Alors, pour réinitialiser la fantasy et rééduquer les habitants du concret déboulent de l’Affre-Monde des Abrutins vicelards, des Ondines pas très malines et des Djinns défaillants. Leur plan pour corriger l’imaginaire des Grouilleux ? Prendre en otage des bibliothécaires, kidnapper des auteurices au festival des Imaginales, annihiler les fans de fantasy.
Comme seul rempart contre cette réforme forcée : Olga et Margo, deux potes aussi déjantées qu’opiniâtres, un môme de 2000 ans habité par un démon pas si méchant, trois punks sous acide au Festival du Gouffre et un couple de faux-flics mystiques, détectives ectoplasmiques, sensibles comme un compteur Geiger.
Le jour où l’humanité a niqué la fantasy, paru chez ActuSF en 2021, est un jeu de construction multicolore qui chamboule les codes de la fantasy. Furieusement drôle, absurdement absurde, foutrement punk, l’acerbe Karim Berrouka excelle dans le surréel, la liberté et la rébellion.
Il va en falloir du courage pour demander haut et fort ce titre chez son libraire, même si celui-ci est spécialisé dans l’Imaginaire. Mais Le Jour où l’humanité a niqué la fantasy annonce clairement la couleur. Avec Karim Berrouka, ça passe ou ça casse. Soit le lecteur est prêt à se laisser porter par ses idées foisonnantes, ses envolées politico-humoristico-verbales et son scénario partant dans tous les sens. Soit il est déconcerté, perdu, voire affligé, et file se réfugier dans les pages plus balisées d’un roman de hard SF ou de high fantasy. Pour compliquer le tout, Karim Berrouka franchit allègrement le quatrième mur en multipliant les clins d’œil au microcosme de l’Imaginaire francophone (dont une malheureuse bibliothèque Léo Henry), et va jusqu’à intégrer deux autrices, un auteur et un éditeur bien vivants dans son histoire.
De quoi s’agit-il ? Tout simplement de rétablir la vérité concernant les créatures de l’autre côté. En effet, suite à un malencontreux incident lors d’un festival punk au fin fond de la campagne, tous les portails entre réalité et imaginaire se retrouvent fermés, et les écrivains commencent à raconter n’importe quoi sous prétexte de fantasy. Une opération militaire est montée pour rétablir la vérité, avec en première escouade une fratrie de lutins d’un mètre quatre-vingt. De péripéties loufoques en quiproquos, les différents personnages du livre vont se rejoindre, et il faudra l’intervention d’une keupon passablement énervée par trente ans passés dans les brumes pour tout faire rentrer dans l’ordre.
Si vous accrochez au style de l’auteur, Le Jour où l’humanité a niqué la fantasy est un excellent cru qui fera travailler vos abdominaux à coup de barres de rire face à certaines situations ou trouvailles linguistiques. En revanche, ce foisonnement textuel est aussi son principal défaut. L’auteur semble avoir oublié le fil de son histoire en cours de route. S’il retombe sur ses pieds in fine, il reste des trous scénaristiques comblés par la voirie municipale un jour de grève qui laissent une tenace impression d’inachevé. Le lecteur serait-il aussi victime d’un enchantement ?