Né à Paris en 1929, Philippe Curval, journaliste, fut un des fondateurs du premier mouvement de la science-fiction française à la fin des années 50. Son œuvre est à la fois influencée par le surréalisme et le roman populaire. Curval est le premier auteur français à avoir reçu le Prix Apollo en 1977 pour Cette chère humanité.
Depuis vingt ans, le Marcom — ce qui fut l'Europe du Marché commun — s'est replié sur lui-même, s'est coupé du reste de la Terre. Et une infranchissable barrière de défenses entoure ce monde clos, technologique et irrespirable.
Cependant, grâce à une ruse étonnante, Léo Deryme, le montreur de rêves, a réussi à lancer au-dehors un appel au secours et les Payvodes, autrefois « sous-développés », l'ont capté.
Belgacen Attia, qui a vécu en Marcom, est envoyé en mission. S'il parvient à franchir le rideau électronique, que découvrira-t-il ? Les Marcomiens qui n'ont plus pour seul recours que la névrose l'accueilleront-ils en ennemi ou en sauveur ?
Après son « Utopie 75 », Curval nous donne son « anti-utopie 76 » : un marché commun devenu « Marcom », qui s'est retranché du reste du monde, et figé dans le refus du risque et le culte du confort matériel. Le livre pourrait aussi s'appeler — à la John Le Carré — « l'Espion qui venait des Payvoides » (pays en voie de développement) ; ou — à la Frank Herbert — « l'Homme fait d'insectes » ; ou — à la Jeury — « les Montreurs de rêves » ou « le Temps ralenti » (tels sont les deux correctifs, le mystique et le technique apportés à l'isolement dans le temps et l'espace caractéristiques de toute utopie) ; et on pourrait trouver aussi du Ballard dans la « recherche du signe suprême dissimulé dans les méandres de l'acte créatif » (l'urbanisme comme dévoilement, p. 142), ainsi que dans les débordements d'une sexualité raffinée et cruelle. Mais ces rencontres — inévitables dans une littérature fortement collective comme la SF — ne diminuent nullement la valeur de l'œuvre, à la fois la plus riche et la plus claire de Curval à mon sens ; tous ces éléments sont fructueusement fondus ensemble : ainsi, l'interférence des sur-rêves des initiés et de la technologie de dilatation spatiotemporelle inflige enfin au Marcom voleur de temps et d'espace la sanction appropriée, en le réduisant, caricaturalement mais aussi symboliquement, à un immeuble (immobilité) voire un appartement (à part). Et, avec des personnages aussi divers que vivants, et des regards nouveaux sur les mythes anciens (l'androgyne, le double) et les problèmes éternels (le père-nature et le père-dieu), c'est bien, tout compte fait, de « cette chère humanité » que nous parle Curval, avec un sourire mi-indulgent mi-amer dans sa barbe mi-patriarcale mi-contestataire.