Les éditions José Corti proposent une nouvelle collection baptisée Domaine merveilleux dont l'objectif est de promouvoir des textes oubliés ou inédits en français, en y ajoutant des dossiers précis et érudits. Quand on connaît la richesse du « Domaine Romantique », on peut en toute confiance s'engager dans ces contrées qui verront se croiser les routes des Frères Grimm, Hauff, Stoker, Straparola...
Le Vaisseau fantôme inaugure de belle manière le grand format de la collection. Contemporain de l'opéra de Wagner (1843), le roman de Marryat développe le mythe du Voltigeur hollandais esquissé dans Rip Van Winkle de Washington Irving — pour retenir un exemple anglo-saxon alors récent. À la suite de Philippe en quête de son père, capitaine maudit du navire entre-deux-eaux, le lecteur est convié à s'ouvrir à une communication avec les trépassés, du moins avec ceux qui ne sont ni morts ni vivants, sur qui le temps n'a aucune emprise. Les innombrables traversées entreprises pour toucher du doigt la légende s'apparentent alors à la légitimation d'un mythe fuyant par essence, spectral par nature, dans un univers où les impératifs politiques, économiques, voire religieux (l'Inquisition est omniprésente, la belle Amine en sera la victime), poussent les êtres à croire que « le temps des miracles était passé ». N'oublions pas qu'au début du XIXème siècle, nous sommes dans une période romantique attachée au folklore et aux traces d'un enchantement du monde.
Voilà pour la prétention imaginaire du texte. La narration obéit par ailleurs au plaisir de raconter affiché par le Captain Marryat — cette voix interrompant le récit se fait notre complice, ajuste des traits d'esprit qui font mouche. Sans oublier d'imprimer à l'intrigue un rythme soutenu. D'emblée, point de préambule, mais une avalanche de péripéties, et nous sommes encore sur le plancher des vaches. La suite ne baisse pas de régime, passe en revue attaques de fort, naufrages, spectres, chasses au trésor, autodafé, malédictions, empoisonnement, prémonitions, magie, et même un loup-garou. En effet, Krantz, fidèle compagnon de Philippe, place peu avant le dénouement un récit dans le récit brutal et gothique qui a pour cadre la montagne magique du Harz.
Le charme agit aussi parce que Marryat, défenseur de la littérature populaire et de jeunesse, passe du réalisme au merveilleux avec un naturel déconcertant, sans se départir d'une justesse d'observation vive — une scène bien sentie (on songe à l'équipage rendu fou par l'or) suffit à dire une vérité psychologique — et d'un sens évident du spectaculaire.
Bref, l'opportunité nous est donnée de retrouver un mythe daté pourtant exaltant, de nous engager dans un océan d'histoires roboratif à une époque où les récits hésitent trop souvent à prendre le large.