Ce volume de nouvelles a été achevé par Pierre Véry peu avant sa mort, survenue en octobre dernier. Il s'ouvre sur une amicale préface de Marcel Aymé, et contient en outre, avant le début du premier récit, des « Considérations (qui ont le mérite d'être brèves) sur un genre littéraire dit science-fiction. » Dans celles-ci, l'auteur pose une équation fantaisiste :
E = MC2 + Abracadabra = SF (et inversement)
qu'on jugera peut-être amusante, mais qui ne signifie pas grand-chose. Les physiciens y reconnaîtront, revue et augmentée, l'expression liant matière et énergie ; les mathématiciens, auxquels un axiome élémentaire révèle que deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles, pourraient en tirer le droit d'écrire que, à en croire Pierre Véry,
Énergie = Science-fiction (???).
À remarquer aussi la Définition justificative que l'on trouve sur la même page : « L'enfant pris de peur dans le noir siffle pour se rassurer. Pris au piège du Continuum Espace-Temps, l'homme, pour se rassurer, se raconte des histoires de peur. » Il semblerait donc que, pour Pierre Véry, la science-fiction ait été uniquement issue d'une crainte (et non d'un espoir, d'une spéculation intellectuelle, d'un désir de simplement inventer une histoire, ou d'une interrogation). Cela explique la couleur en général sombre de ces récits.
Pierre Véry se montre ici pessimiste et assez désabusé ; son pessimisme prend d'ailleurs des aspects différents : ricanant dans « Le yoreille », mélancolique dans « L'étoile jaune », appuyé dans « Hideux Tipset ». vaguement attendri dans « Tout doit disparaître le 5 mai ». Tous ces récits ont cependant en commun une morale – celle selon laquelle la science ne nous rendra pas plus heureux, au contraire. Sans être neuve, cette idée n'a rien de contestable en elle-même, et elle motive, par exemple, les « Chroniques martiennes ». Là s'arrête cependant la ressemblance entre le chef-d'œuvre de Ray Bradbury et le présent recueil.
De toutes les nouvelles rassemblées ici, c'est probablement « La planète d'honneur de l'univers » qui correspond le mieux à ce qu'attend l'amateur de science-fiction : il y a là une utilisation inattendue du thème de la présence d'extra-terrestres parmi nous, ainsi qu'un effet de chute ménagé avec beaucoup d'adresse. « L'étoile jaune », où un jeune astronaute juif meurt enseveli dans la poussière lunaire, tend à être un récit émouvant ; il le serait davantage si l'intention « triste » de tout le récit était moins apparente. On ne peut s'empêcher de remarquer, en outre, deux incongruités échappées de la plume de Pierre Véry ; l'une scientifique (la Terre présentant son dernier quartier aux astronautes, alors qu'il manque deux heures au lever du soleil) et l'autre chronologique : David Goldberg, le jeune israélite, est né en 1935, et sa fiancée serait morte à dix-neuf ans, apparemment au cours des massacres dont ses coreligionnaires furent victimes…
En s'essayant à la science-fiction – ou à ce qu'il désignait ainsi – Pierre Véry semble avoir acquis une certaine lourdeur de trait qui étonnera ceux qui ont aimé ses anciens romans, et en particulier son inoubliable « Pays sans étoiles ». Pourquoi a-t-il choisi de traiter sur un ton grand-guignolesque l'aventure de l'espionne invisible dont on ne voit pas « Le visage » ? À quoi sert cet humour appuyé dans « Hideux Tipset », cette insistance sur les détails fastidieux dans « Les linottes de la Voie Lactée », sinon à dissimuler autant que possible la minceur de la substance ?
Certes, l'incontestable talent du conteur reste présent : on le reconnaît dans l'histoire de cet ancien bourreau qui est obsédé par l'idée que « Tout doit disparaître le 5 mai » ; dans la triste aventure de ce jeune noir qui se tue pour ne pas être lynché, et qui finit par trouver le bonheur parmi « Le peuple peint » sur un papier qui tapissait la chambre de son enfance ; dans « Ils…», où le thème de la menace inexprimable est traité de façon convaincante. Et aussi, ainsi qu'il a été dit précédemment, dans « La planète d'honneur de l'univers. »
Cela ne suffit cependant pas à faire de ce recueil une véritable réussite. Dans la collection « Présence du futur », il souffre de voisiner avec le très beau « Cantique pour Leibowitz ».
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/7/1961 dans Fiction 92
Mise en ligne le : 24/1/2025