ACTES SUD
(Arles, France) Dépôt légal : janvier 1989, Achevé d'imprimer : décembre 1988 Première édition Roman, 240 pages, catégorie / prix : 119 FF ISBN : 2-86869-312-1 Format : 11,5 x 21,6 cm Genre : Fantastique
La couverture est un détail d'une toile intitulée : « La vérité tomberait du ciel sous la forme d'un Harfang » de Valentine Hugo.
Deux jeunes gens — lui est caissier dans une épicerie, elle est coursière — ont franchi le seuil du mystérieux pays de Tembreabrezi où tous deux ont cru découvrir un refuge. Or ce monde de nulle part se révèle bientôt le lieu même de la peur... Tel est le point de départ d'une aventure qui, à la tradition du fantastique, unit un modernisme saisissant. Avec une terrible efficacité, Ursula Le Guin revisite en effet les terreurs ancestrales de l'homme et conduit ses héros, à travers les forêts de Tembreabrezi, jusqu'à l'affrontement ultime. Mais en même temps elle leur fait vivre une histoire d'amour qui a l'envoûtant pouvoir de précipiter le quotidien dans l'immémorial...
HUBERT NYSSEN ET BERTRAND PY
Ursula Le Guin est née et vit aux États-Unis. Son œuvre, qui s'établit aux frontières de la science-fiction et du fantastique, est connue et traduite dans le monde entier. D'elle, Actes Sud a déjà fait paraître un roman : Loin, très loin de tout (prix Lecture Jeunesse 1986).
Critiques
Deuxième titre d’Ursula K. Le Guin publié par Actes Sud, Le Commencement de nulle part est un roman de fantasy assez classique en apparence, reposant sur des vrais lieux communs du genre, mais traités à la sauce propre à l’auteur, ce qui lui donne en définitive un parfum assez singulier.
Hugh est un jeune paumé grassouillet, enfermé dans son misérable boulot de caissier et étouffé par une mère exigeante. Un jour, un peu par hasard, ou peut-être poussé par une impulsion indéfinissable, Hugh atterrit dans un pays de nulle part, hors du temps, plongé dans un crépuscule perpétuel. Hugh y trouve un contentement paisible qu’il n’a jamais éprouvé par ailleurs. L’eau de la crique isolée devient bientôt une véritable drogue pour lui, et il ne peut plus se passer de ses escapades dans cet ailleurs onirique qui lui offre enfin ce qui lui manquait tant sans qu’il en ait bien conscience.
La jeune Irèna, de son côté, avait également déniché ce pays de Tembreabrezi par elle-même, depuis quelque temps déjà. Elle l’a davantage exploré, a rencontré ses habitants, appris leur langue… Bien qu’étant toujours une étrangère, et sans doute le restera-t-elle à jamais, elle a ainsi trouvé à s’intégrer relativement dans cet ailleurs fantasque, où les gens sont si sympathiques, à mille lieues du couple au bord de la rupture qu’elle est contrainte de subir dans la « vraie vie ». L’arrivée de Hugh, cependant, la perturbe ; c’est comme si le pays ne devait être qu’à elle… Jalouse, elle le devient encore plus quand les habitants de la ville de la montagne en viennent à voir en Hugh leur sauveur, annoncé par quelque prophétie mal définie. En effet, depuis un certain temps, les habitants de Tembreabrezi ne peuvent plus emprunter les routes qui les relient au reste du pays de nulle part ; cet isolement les condamne à plus ou moins court terme. Quant à Irèna, elle rencontre de plus en plus de difficultés à emprunter le Passage…
La rencontre inévitable entre Hugh et Irèna sera ainsi tumultueuse. Mais, pour sauver Tembreabrezi et trouver toujours refuge dans ce havre de paix (ou une bonne raison de le quitter ?), il leur faudra accomplir une quête ; et c’est ainsi, dans cet ailleurs improbable, qu’ils apprendront à se connaître, tandis que l’angoisse les environne, changeant quelque peu la donne par rapport à la quiétude qu’avait toujours représenté jusqu’alors cette contrée de Tembreabrezi.
Ce pays hors du temps auquel ne peuvent accéder qu’une poignée d’initiés n’a sans doute pas grand-chose d’original, et de même pour la prophétie et la quête qui s’y insinuent à plus ou moins bon droit. On reconnaîtra par ailleurs que le roman ne brille pas toujours sur le simple plan du style, alternant moments de pure beauté et mal adresses quelque peu déconcertantes (mais peut-être la traduction est elle en cause ?). La conclusion, enfin, est sans doute un peu terne… À s’en tenir à ces critères, Le Commencement de nulle part serait une œuvre mineure, bien loin des plus belles réussites de l’auteur, tous genres confondus.
Il ne manque pourtant pas d’intérêt. Car, au-delà de Tembreabrezi et de son onirisme, Le Commencement de nulle part est avant tout une étude de caractères. Avec Hugh et Irèna, Ursula K. Le Guin a conçu deux très beaux personnages, complexes et émouvants. On les ressent au fil des pages, celles qui les voient vagabonder en quête d’une échappatoire dans le pays du crépuscule, mais probablement plus encore celles qui les voient lutter, ou au contraire céder, dans un monde bien réel qui les dépasse et les écrase. Le Guin a su peindre une humanité du quotidien, aux abois comme de juste, que ses frustrations diverses pourraient condamner à une médiocrité désabusée ; Tembreabrezi permettra pourtant à ces personnages de se réaliser, mais en puisant en eux-mêmes bien plus qu’en fournissant une quelconque solution miracle tenant de la pensée magique. Et c’est ainsi que Le Commencement de nulle part, qui débute dans la dépression et malmène ses héros au travers de leurs angoisses intimes réifiées dans la légende, se révèle en définitive une belle leçon d’espoir.
Après Loin très loin de tout (1984) qui a obtenu le prix Lecture Jeunesse en 1986, les éditions Actes Sud proposent un nouvel Ursula Le Guin. Notons que les mêmes éditions font paraître deux romans de Gène Wolfe : la SF et ses auteurs feraient ils recette ?
Ce roman, sous une couverture magnifique de Valentine Hugo, est assez inclassable, tout en étant étrangement prenant. Ceci malgré parfois — comme souvent quand de la « fantasy » est traduite en français — des chutes de tension à la limite du contresens mélodique. Ce n'est donc pas de la SF, ce n'est pas du fantastique, c'est un roman de « fantasy ». Dans notre univers, un personnage jeune vit avec une mère poule assez vulgaire. Mais il rêve, et se retrouve devant un autre espace, à la fois ici et ailleurs, où il peut même aller camper. Un espace qui chevauche celui de la réalité banale. Une jeune fille est à peu près dans le même cas. Elle le guide un peu vers l'intérieur de ce « pays de nulle part » lui fait rencontrer les habitants et lui fait comprendre ce qu'ils exigent de lui. Une sorte de mission contre un danger inconnu, que lui seul, comme « envoyé » et « élu » peut affronter avec des chances de victoire. Quête initiatrice, qualification du personnage comme héros, combat, victoire, départ : un auteur moins habile aurait enfilé, avec ses gros sabots, les lieux communs comme de la verroterie sur un collier du Club Méditerranée. Ici, ce qui demeure c'est un manque étrange. Loin d'être euphorique, le récit semble toujours se chercher dans une ombre impalpable et une musique secrète, qui en dit plus long que l'armature narrative que j'ai décrite plus haut. La lecture finie, ce manque subsiste. Certes le héros et l'héroïne se trouvent, envoient la maman aux pelotes et auront des tas de ptits hiboux, comme sur la couverture. Mais que deviennent cet autre espace, ses habitants, leurs coutumes ? Il flotte une sorte d'impossible à dire qui est présent. Connaissant les qualités d'écrivain de Le Guin, on ne pense pas (sauf coupures ?) à de la maladresse. On penche pour la recherche d'un effet. Et cet effet est semblable à cette nostalgie, que Thomas l'incrédule le héros de S.R. Donaldson dit éprouver quand il seretrouve sur Terre (J'ai Lu N° 2232 et 2306). A la différence qu'ici c'est le lecteur qui l'éprouve et que c'est un sentiment très curieux. Pour amateurs de Le Guin et de « fantasy », mais pas uniquement : il n'est jamais trop tard pour commencer une exploration littéraire.