Gurmance est une de ces petites villes situées au bout du monde, au bord de la mer, comme Berthelot nous en a déjà montrées, par exemple dans Le Jongleur interrompu. Lorsque le marin Renaud des Îles se perd en mer, il laisse derrière lui une veuve inconsolable, Annelore, et deux enfants : la sage et brune Prunelle, le turbulent et blond Vivien.
Trois ans plus tard, un joueur de vielle nommé Raoul de Jais arrive dans la petite ville et séduit la jolie veuve. Il est cependant accompagné d'un terrifiant serpent apprivoisé, nommé Xernath, qui rend bientôt visite à la jeune Prunelle chaque nuit. Sa collerette rouge et frémissante, il prend possession du lit et pèse de tout son poids sur le ventre de la petite fille. Effrayée, puis culpabilisée, celle-ci cache à sa mère ces entrevues nocturnes...
Sous le chatoiement d'un conte qui aurait pu s'adresser aux enfants se dissimule ainsi une évidente métaphore. Berthelot avait déjà abordé le thème du divorce sous la forme d'un conte pour la jeunesse — La Maison brisée — , il affronte cette fois celui de la pédophilie et de l'enfance violée. Sous d'autres plumes, un tel sujet pourrait devenir scabreux ou larmoyant. Mais la grâce et la luminosité de l'écriture de Berthelot, la tonalité magique et fabuleuse de sa narration, confèrent au récit un charme qui ajoute à l'ambiguïté du propos... Sa démarche est aux antipodes de celle d'un Claude Ecken qui, dans Enfer clos, décrit l'horreur avec le plus grand réalisme possible, la plus grande crudité, au point de mettre le lecteur mal à l'aise. Berthelot choisit au contraire de séduire son lecteur, d'habiller l'horreur de malice et d'irréalité, pour laisser son propos imprégner l'esprit et suivre insidieusement son chemin.
Berthelot est un « psycho-fictionnaire » comme le surnomme Châteaureynaud, ou un « transfictionnaire » comme il pourrait se définir lui-même, lui qui cherche à promouvoir l'idée d'une « fiction transgressive ». Même sous couvert de mondes imaginaires, ses univers ne parlent que de l'âme humaine et de ses tourments, avec une remarquable cohérence. Ses récits font toujours preuve d'une envoûtante harmonie, et Le Serpent à collerette ne fait pas exception.
Soulignons que cette « novella » de moins de soixante-dix pages — augmentée d'une intéressante préface de Georges-Olivier Châteaureynaud, survol rapide de l'évolution de la littérature dans la seconde moitié du vingtième siècle et de la place qui occupe Berthelot — est le premier livre des éditons Dreampress.com. Celles-ci ont fait le pari de vendre leurs publications essentiellement sur Internet (voir le site
www.dreampress.com), en ciblant plutôt un public d'amateurs éclairés et de collectionneurs : le présent ouvrage n'est tiré qu'à 500 exemplaires numérotés, dont 425 constituent l'édition « classic » et 75 l'édition « premium » — l'ouvrage est alors signé par l'auteur et contient un livret avec une nouvelle supplémentaire. Cet objectif de vente paraît raisonnable, car vu la taille de l'ouvrage, le prix de 15 euros dissuadera sans doute l'acheteur qui n'est ni particulièrement passionné par l'univers romanesque de Berthelot, ni collectionneur.
Profitons-en pour souhaiter bonne chance à ce nouvel éditeur.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 1/12/2003 nooSFere