Si votre enfant mourait accidentellement et qu'un infime espoir de le voir revivre subsistait, de quels sacrifices seriez-vous capable ? En pleine détresse, partagé entre une culpabilité inutile et une vaine révolte face à cette injustice, ignoreriez-vous les paroles rassurantes d'un médecin compatissant ? Ou décideriez-vous au contraire de suivre ses conseils et de tout quitter pour partir habiter la charmante petite ville où l'on promet de vous rendre votre fils, étrangement baptisée Nouvelle-Arkham ? Hésiteriez-vous à braver une loi encore balbutiante, qui n'interdit sans doute le clonage que par ignorance ou par peur irraisonnée ?
Après
Clone connexion, Christophe Lambert revient sur le thème du clonage pour répondre à l'une des principales questions que pose cette technique : dans quelle mesure le clone est-il semblable à son modèle ? Les parents du petit David vont devoir se rendre à l'évidence : certes son double lui ressemble, mais il n'a ni ses souvenirs, ni ses goûts, ni même son caractère. Il n'est ni un monstre ni un sous-humain, mais juste une sorte de jumeau qui possède sa propre personnalité, une autre « identité » non identique. Le message est simple, la démonstration limpide et émouvante : cette seule histoire suffirait à faire de
Petit frère un excellent roman.
Mais Lambert profite de ce premier thème pour en aborder un deuxième plus immédiat, celui des sectes — avec une remarquable avance sur l'actualité puisqu'il affirme avoir terminé la première mouture de son roman quatre jours avant que, fin 2002, les raëliens ne prétendent avoir cloné un être humain. Il dissèque avec une étonnante crédibilité les mécanismes de l'endoctrinement, commençant par la séduction et l'assimilation pour aboutir à la « reprogrammation ». Isolement, néo-langage, hypnose, régimes, punitions... l'auteur met en scène de manière directe les recettes qui permettent d'annihiler la volonté des plus réfractaires.
Enfin, il était difficile de parler de génétique et de sectes sans évoquer le racisme et la xénophobie : l'allusion à
Lovecraft (Arkham) n'est pas innocente, comme nous l'apprendrons dans la postface.
D'abord auteur de romans d'action, Christophe Lambert n'a cessé d'aborder des sujets de plus en plus graves et sensibles, avec un ton particulièrement juste. De ce point de vue,
Petit frère est une réussite exemplaire, où s'ajoute un travail sur la forme : l'apprentissage du clone « né à dix ans » est très habilement suggéré par les mots auxquels il doit donner un sens et qui figurent en majuscules dans le texte.
Petit frère est donc à la fois une formidable aventure et un livre d'utilité publique. Chaque jeune devrait le lire pour analyser de l'intérieur ce que sont ces sectes qu'on lui demande d'éviter sans qu'il sache les reconnaître. Et aussi pour constater qu'il est préférable d'affirmer sa propre personnalité plutôt que de céder aux manipulations, qu'elles soient mentales ou génétiques. Sans doute le meilleur roman de Lambert à ce jour.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 1/12/2003 dans Galaxies 31
Mise en ligne le : 6/12/2008
Christophe Lambert s'est déjà intéressé au problème du clonage dans un autre roman paru en février 2002 dans la même collection, sous le titre « Clone connexion ».
Ce thème a également fait la Une de l'actualité il y a quelques mois avec l'affaire de la secte des Raéliens qui affirmait, par le truchement de l'un de ses dirigeants, la biochimiste Brigitte Boisselier, que la société Clonaid venait de cloner un être humain et que la secte se proposait, moyennant finances naturellement, d'aider les familles ayant perdu un des leurs.
C. Lambert s'empare donc de ce fait divers très médiatique et entraîne ses héros au sein d'une secte et d'un lieu parfaitement clos et contrôlé : la Nouvelle-Arkham, avec une référence très explicite à Lovercraft. (Encore que nos jeunes lecteurs ne sont pas forcément très familiers de cet auteur.)
Le très grand intérêt de ce roman est la manière efficace dont Lambert explique le fonctionnement d'une secte et la manière dont des personnes saines d'esprit au demeurant peuvent se laisser prendre dans ses filets.
Prenons donc une famille, les Martin, appartenant à la classe moyenne américaine et dotée de revenus confortables, qui vient de subir un traumatisme épouvantable : la mort par noyage de leur fils de dix ans. Leur douleur, le sentiment d'injustice, d'incompréhension qu'ils éprouvent alors les fragilisent considérablement. Ils sont alors prêts à accepter l'impensable et l'extravagant :le clonage de David, une dépense de 200 000 dollars, un déménagement après avoir coupé tous les ponts derrière eux, et leur installation dans un village dont l'emplacement doit être tenu secret pour y vivre en huis clos. Seule Kimberley, adolescente de quinze ans et sœur de David, fait preuve d'un solide bon sens dont elle ne se départira pas
Le discours et l'attitude des médecins qu'ils rencontrent sont rassurants : ces hommes ont une apparence très respectable et des arguments qui ne peuvent que toucher les parents endeuillés et anesthésiés par l'alcool ou les médicaments.
Lambert montre ensuite fort bien les processus mis en place, qui sont toujours les mêmes, pour accrocher définitivement les nouvelles recrues : séduction et dépendance ; chaleur de l'accueil, poids et rôle de la communauté, importance du secret, choix très précis et symbolique des mots employés, mélange de jargons pseudo scientifique et religieux. La cérémonie de remise de leur nouveau fils, que le professeur Garland, le « scientifique » qui a mis au point le procédé de clonage, nomme le ressuscité, est très ritualisée et Garland y fait figure de prophète ou de sauveur. Les responsables de la Nouvelle-Arkham proposent ensuite aux résidents toutes sortes de programmes destinés, officiellement, à améliorer leur mieux-être : relaxation, cuisine et régimes très particuliers, hypnose, enseignement, séduction ...
Enfin, quand cette mécanique si soigneusement mise au point s'enraye et que le doute s'installe, quand la famille Martin, grâce à leur fille et à David qui est loin d'être la réplique du premier mais qui est doté d'une personnalité différente bien à lui, finit par comprendre dans quel piège ils ont été attirés, la secte n'a plus qu'un recours : la force et la mise à mort.
Ce nouveau roman de c. Lambert, à la narration fluide, est donc excellent à plus d'un titre et pourra être apprécié par un public très large et pour différentes raisons. Petit frère peut se lire comme un roman de science-fiction : un humain meurt et la science est à même de le reproduire ; comme un roman d'action : les péripéties y sont nombreuses et le dénouement réussi ; comme une réflexion pour ceux qui veulent aller plus loin sur les méthodes des sectes, l'idéologie néo-nazie et les théories racistes professées par certains groupuscules disséminées un peu partout dans notre monde.
Catherine GENTILE (lui écrire)
Première parution : 15/10/2003 nooSFere