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Neuf essais sur Dante

Jorge Luis BORGES

Titre original : Nueve ensayos dantescos, 1982


GALLIMARD (Paris, France), coll. Arcades n° 12
Dépôt légal : février 1987
Première édition
Recueil d'articles, 128 pages, catégorie / prix : 35 FF
ISBN : 2-07-070908-6



Quatrième de couverture
     Avec une infinie pitié, Dante nous raconte le destin des deux amants, mais nous sentons qu'il leur envie leur destin. Paolo et Francesca sont en enfer et, lui, il sera sauvé, mais eux se sont aimés alors que lui n'a pas obtenu l'amour de Béatrice. Ces deux réprouvés sont ensemble, ils ne peuvent pas se parler, ils tournent dans le noir tourbillon sans aucune espérance, pas même celle de voir cesser leurs souffrances, mais ils sont ensemble. Ils sont ensemble pour l'éternité, ils partagent l'Enfer et cela a dû sembler à Dante être une sorte de Paradis.
Critiques
     Cet aveu, dans un bref prologue à ses Poèmes : « Le sort qui me revient est ce que l'on nomme, d'ordinaire, la poésie intellectuelle. L'intellect (la conscience vigile) pense par abstractions ; la poésie (le rêve), par images, mythes ou fables. » Et les quelques poèmes que la Nouvelle Revue française 1 donne à lire illustrent la voie médiane frayée par Borges entre le général et le particulier, pour un voyage interminable et cependant bouclé par l'effet de spirale de ses textes brefs. Il a des passions abstraites (même Buenos Aires est une idée, création mentale plus que reflet d'une expérience), qu'il incarne par la grâce d'un travail verbal concret et immédiat.
     Raisonner, décrire sur le ton d'une conversation superbement cultivée. S'il n'a pas de poèmes en tête, Borges varie à peine sa manière. Dans Le Livre des êtres imaginaires, il s'adonne à des proses faussement objectives pour dresser l'inventaire des images mythiques dont se nourrissent les hommes. Du Cerbère à l'Unicorne, en passant par le Dragon, qu'il soit chinois ou d'Occident, et le Golem, le Lièvre lunaire et la Salamandre, plus de cent-vingt créations hybrides se rassemblent en un bestiaire fabuleux, qui voudrait remplacer la nature tout en s'y référant. Livre-promenade, où se déplacer au gré du hasard, d'intérêts spécifiques ou de curiosités onomastiques. Livre qui n'est pas entièrement neuf. Dès 1965, chez Julliard, les passionnés connaissaient le Manuel de zoologie fantastique, dont la texture est ici élargie, sans que Borges' succombe à la tentation d'y englober tout, et rien. Sans qu'il résiste, toutefois, à constater que le titre de ce livre pourrait justifier l'inclusion du prince Hamlet, du point, de la ligne, de la surface, de l'hypercube, de tous les termes génériques et, peut-être, de chacun de nous et de la divinité. Sans non plus que Borges satisfasse à l'excès ses prédilections. Il réfrène son goût des labyrinthes, ne consacrant pas plus d'une bonne page à ce Minotaure que Dante, à l'inverse de l'imagerie traditionnelle, voyait avec la tête d'un homme et un corps de taureau...
     Dante, dont Borges a parlé pour gagner sa vie et voyager, préférant le destin de conférencier à celui que le régime Peron pensait lui assigner : inspecteur des volailles sur les marchés de la capitale. Et il n'est pas exclu que les Neuf essais sur Dante soient en partie issus de ces prestations langagières. A partir de fragments, Borges à tout le brio voulu pour reconstituer l'ampleur de la Divine Comédie, et mettre en branle le jeu des citations. Il rappelle ainsi que Stevenson, dans ses Ethical Studies, ramène les personnages de livres à des suites de mots.
     Sera-t-il advenu autre chose de Jorge Luis Borges ? Question ambiguë, irréductible à l'idée ma foi banale qu'un créateur ne subsiste que par son œuvre. Car la métamorphose verbale de l'écrivain, en raison de sa cécité, est survenue de son vivant. Avec ceci de tragique et de vertigineux : pour avancer dans la réalisation de soi, au su et au vu de tous, Borges n'avait plus d'images de référence. Ni du monde, ni de la conformation graphique des mots qu'il dictait.
     Le frein s'est fait force. Ecrire en paroles est devenu le meilleur moyen d'établir la connivence entre auteur et public, en faisant assister le lecteur au spectacle d'une pensée mobile, avec pour seul ancrage la citation de mémoire, d'une netteté lumineuse. Aussi est-ce un plaisir toujours neuf que de voir exhumer une conversation de Borges, comme l'a fait la revue Roman 2. Le dialogue avec Gloria Alcorta date de 1963. mais Borges y est on ne peut plus présent, avec sa voix sortie de sa nuit intérieure, son flux délicat, son cours paradoxal, et cette impression persistante que les mots viennent d'être prononcés, que les textes ont l'épaisseur d'une voix traversant la pièce. Ce qui n'est pas mal pour un argentin décédé octogénaire, le samedi 14 juin 1986, à 7 h 47.


Notes :

1. En son n°419 (décembre 97), la Nouvelle Revue française offre une première lecture de poèmes extraits d'un volume à paraître, chez Gallimard encore. Traduction de Claude Esteban.
2. La revue Roman (n°21, décembre 97) a publié, sous 1e titre Portrait d'un Djinn d'après nature, la transcription d'une rencontre d'octobre 1963 entre Borges et Gloria Alcorta. Aux Presses de la Renaissance.

Alain DARTEVELLE
Première parution : 1/4/1988 dans Fiction 396
Mise en ligne le : 22/10/2003

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