Fils d'un peintre italien et d'une comtesse polonaise, Arrigo Boito semble avoir été marqué toute sa vie par cette naissance, très romanesque, qui lui donnait deux patries. (...)
Sans doute doit-on voir dans l'écartèlement dont sont victimes ces deux nations l'image de la déchirure, de la dualité de l'être humain, thème central de son oeuvre. Convaincu des aspirations antagonistes qu'il ressent en lui, il commence ainsi un poème célèbre : « Je suis lumière et ombre, angélique / papillon et ver immonde ».
De fait, bien plus que poète de l'angélique papillon, Boito est le peintre des âmes noires. Le Fou noir est l'illustration la plus concise que Boito nous ait donnée de l'être humain et du triomphe du mal.
1 - Le Fou noir (L'alfier negro), nouvelle, trad. Jacques PARSI 2 - Le Poing fermé (Il pugno chiuso), nouvelle, trad. Jacques PARSI
Critiques
« Que celui qui sait jouer aux échecs prenne un échiquier, le dispose en bon ordre devant lui et qu'il imagine ce que je vais décrire. » L'introduction au Fou noir pourrait rebuter ceux qui ne prisent pas le raisonnement pur. Et ils manqueraient ainsi un plaisir et des sentiments, celui d'une tension où le physique coïncide au pensé. La partie d'échecs se tient à la tombée du jour, à la lueur de chandelles, dans le salon de lecture très siècle dernier d'un palace suisse, et l'affrontement bénin des pièces noires, que savoureront les spécialistes, n'est au fond qu'un prétexte, si l'on sait qu'il confronte un Américain blanc et un Noir de la Jamaïque — un Ethiopien, disait-on alors. On comprend qu'avec Boito, la notion de jeu de société prenne vraiment tout son sens. Deux civilisations, deux perceptions du monde s'opposent, jusqu'aux dimensions de la lutte éternelle entre le Bien et le Mal, dont les teintes respectives restent des inconnues biaisant tout le jeu, dans la grisaille du crépuscule. Il y a ici un sens parfait de la gradation, où le moins admirable n'est pas le mouvement de bascule imprimé aux protagonistes, les faisant passer de la révolte à la mort, de la maîtrise mentale à la folie pure.
Tout aussi prenant est Le poing fermé. Ce récit vaut déjà par la sobre reconstitution d'une ambiance historique précise : la Pologne de 1867. Une Pologne empreinte de superstitions, où ce qui n'était qu'une enquête médicale sur la plique faciale et capillaire, maladie infestant le bas-peuple (on songe aux écrouelles de la France moyenâgeuse), dérive vers un fantastique obsessionnel que n'aurait pas désavoué Meyrink. On se souviendra longtemps de l'histoire de l'usurier Lévy, de son poing fermé sur le florin rouge qui complète son million, et qu'il s'est vu donner en rêve.
Arrigo Boito n'était jusqu'ici connu que des amateurs d'opéra, en tant que librettiste de Verdi (Othello, Falstaff). Jacques Parsi, traducteur et préfacier de ces deux histoires, affirme que Boito en aurait écrit trois autres. Le regret vient donc de ce qu'Actes Sud se soit montré si chiche...