Armand Farrachi ne crache pas sur le mythe du Grand Vampire. Il colle même de près à l'histoire véritable du fameux Vlad Drakul, et pas l'ombre d'un chiroptère ni un cercueil béant, ni la flamme folle des candélabres parmi les vents coulis ne manquent à l'ambiance, en ce château mangé de bruine au fin fond des Carpathes. Cependant tout chavire sous des phrases enveloppantes, chantournées à dessein. Car l'excès de précision et la verve pompeuse obéissent au mobile d'une parodie féroce. C'est que, dans sa contrée démocrate populaire, le Comte Drakul s'ennuie. Il veut aller dans le monde pour trouver l'aventure, à Paris n'est-ce pas, pour sucer du sang neuf à la gorge de femmes qu'animent d'autres pulsions que l'amour du prolétariat. Et dans un de ces cénacles où il passe pour une curiosité, le voici entiché de Lucie, virginale enfant dont le cou mis à nu sans qu'il doive le prendre tue en lui les désirs de morsure. En même temps s'installe le dilemme : « Lucie m'aime ou croit m'aimer parce que je suis Dracula, et non parce que je suis moi-même ». C'est bien de la fine nuance, une étrange distinction juge Cukol, son valet raisonneur et lettré. Puisque le drame du maître et son identité tiennent précisément à ce qu'il soit ce mort-vivant célèbre : perpétuel, et par là incapable de vivre la passion, fixation temporaire sur un moment de jeunesse cerné par des pans de mort. Récit enjoué des vacances de deux Transylvains, ce livre vaut d'abord par sa qualité d'exercice, de style et d'idées, sur un mythe récent mais mal dans le siècle.