Sous le nom de Jérôme Sériel, Jacques Vallée participa des débuts balbutiants de la SF en France, dans les années cinquante. Sub-espace et Le satellite sombre parurent en 1960 et 1961, et le premier lui valut un prix Jules-Verne. Leur auteur était, fait assez rare en France, un scientifique bon teint (on retrouve aujourd'hui dans la liste de ses publications des ouvrages d'informatique). Depuis vingt ans, Vallée avait abandonné la fiction pour s'intéresser de près à des manifestations de ce que Versins rassembla sous le vocable d'Hétéroclites : sociétés secrètes, Agartha, pouvoirs surhumains,... OVNI ! Toujours sous l'angle rationnel, sa passion et sa connaissance des OVNI en firent le modèle du savant français joué par Truffaut dans Rencontres du 3ème Type de Spielberg.
Quoi d'étonnant dès lors de voir s'articuler ce nouveau roman autour du même phénomène, baptisé ici Marche-Vite ? Les OVNI de Jacques Vallée se comportant très exactement selon les lois d'elusiveness théorisées par Bertrand Méheust (in Science-Fiction et soucoupes volantes, Mercure de France), on s'attend à une fiction tirant du côté de Jeury (Les yeux géants) ou de Watson (Les visiteurs du miracle). La déception peut s'installer sur les fondements de cette attente, car Vallée a écrit un polar teinté d'espionnage à mille lieux des implications métaphysiques de i'infosphère jeuryenne.
Alintel n'est pour autant pas une œuvre à dédaigner totalement. Malgré (ou à cause de ?) son style assez neutre, parfois fortement américanisé, il sourd de ce livre un effet de réel qui mène à penser que Vallée sait de quoi il parle. Cela peut être un simple truc pour installer son vraisemblable, à l'instar des rapports techniques déclassifiés de Michael Crichton, mais cela marche. D'autant plus lorsqu'on sait que Vallée a en effet travaillé dans ce monde. Sa description des agences de renseignement parallèles et de leur quête du Marche-Vite comme instrument de puissance correspond parfaitement à ce qu'un certain type de thrillers nous a déjà décrit des services para-gouvernementaux aux USA. qu'ALINTEL soit une agence internationale est dans l'ordre du monde actuel, aux côtés des consortiums multinationaux.
Surtout, ce roman montre admirablement comment la maîtrise d'un outil télématique sophistiqué, entraînant la maîtrise de l'information, mène aussi, fatalement, à la maîtrise des consciences et des sociétés. C'est le danger principal sur lequel Vallée a le mérite de mettre le doigt.
Les Marche-Vite en passent un peu à l'arrière-plan et les explications auxquelles ils donnent lieu laissent sur leur faim les lecteurs attentifs. A nouveau, la comparaison avec Jeury aplatit sérieusement l'intérêt de cet aspect de l'ouvrage. Que seront les futures enquêtes de Pierre Lesage, « détective informatique » dont Alintel marque les débuts ?
Dominique WARFA (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/9/1986 dans Fiction 378
Mise en ligne le : 24/10/2003