Depuis « Les Egarés » promu Goncourt, la presse a largement fait connaître le goût de Frederick Tristan pour la tradition ésotérique. Son succès de romancier n'a entamé en rien le sérieux avec lequel, en compagnie d'Antoine Faivre, il patronne « Les Cahiers de l'Hermétisme ». L'intérêt de ces essais est, précisément, de ne pas se cantonner à la parascience dont ils se veulent le reflet, et l'Androgyne, dernier-né de la Collection, fournit un parfait exemple de cette optique plurielle.
Du discours d'Aristophane dans le Banquet de Platon, jusqu'aux fictions contemporaines, le thème de l'Androgyne a subi de multiples distorsions et transformations, alors que des sociétés successives, religieuses ou désabusées, le réinterprétaient en se l'appropriant. De l'image mentale du dieu créateur, l'androgyne s'est ainsi mué en celle d'un premier homme d'avant la faute, qui réaliserait en son sein l'harmonie des essences féminine et masculine. Il s'est ensuite abâtardi en l'hermaphrodite, dont les deux sexes affirment la dualité physique, plutôt que de la gommer. L'intérêt du livre est d'ordonner les formes du mythe, jusqu'à ses prolongements extrêmes : attrait de l'inceste (l'androgyne à deux), tentations transsexuelles, travestissements...
Et l'Androgyne, comme ses avatars, sont les motifs centraux de bon nombre de récits de nature fantastique. Bien que déjà présent chez Gautier (
Mademoiselle de Maupin) et Balzac (
Séraphîta), le thème a connu sa véritable efflorescence dans les nineties passées. C'est donc un régal, pour les fous littéraires que nous sommes, de s'attarder aux analyses que font Nelly Emond, et Frédéric Monneyron, du rôle de l'androgyne chez ce cher Oscar Wilde, chez le Sâr Péladan, chez des décadents dont la vogue s'affirme
1 : Joris-Karl Huysmans bien sûr, mais aussi Edouard Rod et Jean de Tinan, Elémir Bourges, Rachilde et son
Monsieur Vénus 2.
La réussite tient de la gageure : en une dizaine d'études, appréhender l'intégralité d'un thème aussi complexe, et garder intact son pouvoir de fascination. Puissance toujours active en nos temps incertains, si l'on songe au récent
Autoportrait 3 de Jean-Claude Dunyach.
Notes :
1. A cet égard, la collection « Fins de Siècles », que dirige Hubert Juin pour 10/18, est une véritable mine.
2. réédité chez Flammarion, 1977.
3. Denoël, Présence du Futur n° 415.
Alain DARTEVELLE
Première parution : 1/2/1987 dans Fiction 383
Mise en ligne le : 28/1/2003