Critiques
L'argument est simple. Félicien, homme sans histoire, se prépare à prendre le train pour ailleurs. En attendant, il visite le Muséum d'Histoire naturelle et la ménagerie du Jardin des Plantes, et se fait un ami de rencontre, Virieu, avec qui s'établit une connivence. Puis Félicien s'en va. Le livre se referme comme des parenthèses dans son existence. Plus intimement, ce texte tire sa force de la dérive mentale à laquelle s'abandonnent Félicien et Virieu. Ils traversent la vie en laissant la bride lâche aux moindres impressions que suscite la vision du réel. Ils voyagent dans leur tête à la manière d'un enfant qui découvre ou s'invente des paysages, des visages et des aventures à partir d'une lézarde au plafond de sa chambre, ou des motifs du papier peint. Intuitions et réminiscences, associations d'idées commandent leurs plaisirs et déambulations, et suscitent des scènes qui déchirent le réel objectif. Calmement se compose une imagerie fantastique où les passants sont des bêtes insolites, où les animaux eux-mêmes vivent en présence des hommes sans prendre conscience de leur existence et où les rêves diurnes sont de loin supérieurs aux substituts de l'art, filmique par exemple. Ce système de lecture du monde recompose les choses, leur insuffle une vie selon leurs particularités formelles ou les sons qui les désignent. Une conception sensualiste radicale, curieusement proche du surréalisme et de son écriture automatique. Encore que l'investigation de la masse fluctuante des perceptions, telle que la pratiquent Félicien et Virieu, est plus qu'un moteur créatif : un imaginaire immédiat, instauré en principe de vie. En une dizaine de chapitres brefs, autant d'éclats de son regard aigu, Claude Margat vient de concevoir une fantaisie qui sonne juste. Alain DARTEVELLE Première parution : 1/7/1987 dans Fiction 388 Mise en ligne le : 28/1/2003
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