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Mémoires de l'ombre

Marcel BÉALU



PHÉBUS , coll. Verso précédent dans la collection suivant dans la collection
Dépôt légal : août 1991
Recueil de nouvelles, catégorie / prix : 92 FF
ISBN : 2-85940-075-3
Genre : Fantastique


Quatrième de couverture
     Ces cent vingt récits brefs, conçus comme autant de pièges, sont unanimement considérés comme le chef-d'oeuvre de Marcel Béalu. Edmond Jaloux salua naguère ce livre inclassable comme « l'une des oeuvres importantes de son temps. »La présente réédition, attendue depuis quinze ans, comblera, on veut croire, tous ceux qui n'ont pas peur de s'engager, pour leur plaisir non moins que pour leur crainte légitime, sur les sentiers de l'inavouable.

     « Lire une page de Marcel Béalu, c'est pénétrer dans une pays singulier, un pays qui pourtant doit bien exister quelque part, plus haut ou plus bas que la terre, le pays de derrière la glace, ou de derrière l'eau, ou de derrière le ciel — ou de derrière nous. Il n'est pas de pays plus simple, ni plus logique, d'une logique si parfaite qu'elle rejoint la poésie ; On y échange, lèvres closes, d'émouvants entretiens ; on y rencontre des monstres mélancoliques, des noyées, des reflets, des membres épars. On s'y sent immatériel ; pourtant il semble que le coeur y frôle toujours le fil de quelque lame. »
Jean Paulhan

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition MARABOUT - GÉRARD, Bibliothèque Marabout - Fantastique (1972)

     Avec les cent vingt récits brefs qui composent ces Mémoires de l'ombre, Marcel Béalu nous donne à écouter comme autant de petites pièces d'une rare musique nocturne qui ne nous rentrerait dans l'œil que pour mieux s'infiltrer, se répandre dans notre oreille en minces ruisselets cristallins. La musique de Béalu est trop jolie pour être vraiment inquiétante ; elle est trop brève, en chacun de ses morceaux, pour nous effrayer totalement : elle fait comme si, et à peine a-t-on le temps de se pelotonner dans l'attente du frisson que les notes se sont déjà diluées dans l'air ; à peine a-t-on dans la tête une douzaine de phrases au rythme harmonieux, qui sont comme autant de. portées de notes limpides, que l'enchanteur est déjà parti. Mais attention : il nous attend au tournant, à l'aube du récit suivant. Si on veut bien se donner la peine...
     La musique de Béalu est jouée sur une harpe fantôme pincée par un Harpo lunaire, sur un violon transparent qui fait un angle bizarre entre une épaule et un menton d'ombre, sur un piano mélancolique dont les touches, frappées par des doigts spectraux, reluisent doucement dans la grimace figée d'un rire rectiligne. Oui : la musique de Béalu est une musique de cordes — d'instruments à cordes et de cordes pour se pendre en douceur, des cordes en boyaux de chats qui font les meilleurs instruments et les meilleurs pendus peut-être... mais que dire des chats ?
     Que dire de plus, d'ailleurs, qui serait trahir Béalu ? Béalu dont on ne peut guère parler qu'en regardant ailleurs, dont on ne peut guère parler qu'en étant autour, à l'extérieur, en faisant un peu du à la manière de...
     Essayons pourtant, en arpentant avec de gros sabots ces portées de chats-dont-on-fait-des-cordes.
     Cent vingt contes en quatre parties, comme les quatre saisons d'une vie : Plusieurs enfances, Elle et elle, Théâtre souterrain et (qui fait penser à Cocteau ou à Apollinaire) Le dormeur debout. .
     Sélections assez arbitraires mais qui, si on veut bien se donner la peine de plonger dans leur eau, révèlent tout de même une volonté phréatique d'organiser les contours, la trajectoire d'une existence, à travers cent vingt moments qui seraient comme arrachés au hasard dans la chair molle de la vie ; en somme un vrai roman pointilliste, alternatif, dont les multiples chapitres auraient la brièveté du temps qui passe, du soupir qu'on laisse échapper, des images fantasques qu'organisé dans une tête une pupille mangée de soleil.
     Plusieurs enfances, c'est — l'auriez-vous cru ? — l'enfance et ses troubles verts, acidulés, inquiets, merveilleux, et les contes appartiennent justement à un insolite merveilleux bien mal définissable, dont le charme tient précisément à ce qu'il échappe à toute définition. Les récits de Plusieurs enfances sont aussi ceux des illusions perdues ; comme si le conteur, se souvenant, longtemps après, des rêves qui l'avaient habité garçonnet, prenait un aigre plaisir à leur tordre le cou, à clouer par les pieds des aventures et des destinées imaginaires ou qui tournèrent court, ou qui sombrèrent dans le dérisoire — comme dans Une- bonne farce, où le narrateur, qui croit être invité chez des gens du monde, découvre sous les beaux masques les visages bien connus du boucher, de la concierge, ou encore comme dans La gloire facile, où le génie n'est reconnu au petit acteur local que lorsqu'il aborde le rôle de l'ours.
     Elle et elle, c'est l'adolescence, la jeunesse et les amours qu'on rencontre, qu'on découvre, qui vous découvrent et le plus souvent vous broient... à moins que tout simplement elles ne vous tirent la langue. Les récits sont alors fantastiques, parce que la Femme, c'est l'Ogresse, la Nymphe, la Fée, la Gorgone, toutes créatures très incarnées, très répertoriées. Les chutes alors sont plus brutales, plus décisives, plus définitives, se font en somme d'une plus grande hauteur, font plus mal... comme un amour peut faire mal. Guetter un ravissant profil longtemps derrière une vitre, s'enhardir au bout de plusieurs semaines à pénétrer dans une chambre et se rendre compte finalement qu'on a fait l'amour à un cadavre, ce n'est pas drôle (Morte d'avance) ; mais épouser une femme qui se multiplie un jour par trois (Trois en uns), est-ce bien préférable ?
     Théâtre souterrain, c'est l'âge mûr, le théâtre da l'honorabilité et des apparences... apparences qui sont bien vite percées, s'effritent comme un manteau de brouillard sous le vent des sarcasmes et laissent la corps — pardon, l'âme — dans sa triste nudité. Les récits se font alors symboliques, sont comme autant de portes secrètes dont le conteur ne nous donne pas toujours la clé. Se pencher sur la blonde ravissante qu'on a espérée toute une vie et voir soudain dans un miroir un visage de vieillard qui est son propre visage (Vieux beau) ; croire tenir la clé de la porte du plus grand amour et se retrouver poisson doré dans un bocal (Le bocal) ; marcher sur une route au milieu de passants terriblement défigurés et s'apercevoir qu'ils vous regardent avec la même horreur que celle qu'ils vous inspirent (Les vagabonds horribles), voilà les métaphores de désillusions d'autant plus cruelles que la jeunesse n'est plus là pour les adoucir, et que les lendemains qui permettent tous les recommencements se rétrécissent à l'horizon.
     Le dormeur debout, enfin, c'est le sommeil lourd qui est l'antichambre de la mort , ce sont ces rêveries qui défilent alors que ce corps que le dormeur croit encore vertical a déjà atteint une définitive horizontalité. Contes oniriques donc, sans queue ni tête et sans autre signification que leur propre existence d'images renflouées. Les chutes y sont moins amères — II n'y a plus rien à perdre — et ne sont que glissades, dans le temps, comme dans La calèche, où le dormeur retrouve le climat d'un passé défunt, ou dans l'espace, comme dans Hôtel du silence, où il est trop tard pour qu'il puisse s'arrêter. La dernière glissade est celle qui conduit à l'ultime destination, celle où il est difficile de se rendre debout sur sas jambes. C'est aussi le dernier récit du recueil (Le pont). En voici la fin, où Béalu se permet son seul clin d'œil — vers Nosferatu :
     « Et maintenant il y avait ce pont à traverser, ce seul pont jeté sur le fleuve pour atteindre une rive invisible. Qu'allez-vous faire au-delà ? dirait l'autre voix plus terrible encore. Car ce pont est une frontière et cette autre rive un autre monde. Et pour passer du l'un à l'autre je devais affronter les deux sentinelles qui se confondaient de plus en plus au brouillard et à la nuit. D'où je venais je le savais, mais ce que je voulais au-delà, comment le dire ?
     Ainsi soliloquant j'approchai de l'entrée du pont et me trouvai bientôt à deux pas des gardes dont la silhouette grandissante et la complète immobilité commençaient à me rassurer. N'était-ce pas de simples statues de pierre ? Combien j'avais eu tort de m'effrayer ! Et plus grand tort encore sans doute de tant me soucier à propos de l'autre rive. Tandis que l'avançais d'un pas allègre, sous l'effet de ce nouveau courage, la brume tout à coup se dissipa pour faire place à la nuit étincelante, et, dès que j'eus traversé le pont, les fantômes vinrent à ma rencontre.« 

 

     Quel meilleur passeport pour Béalu que son propre texte ? Et foin des décortications ! Il suffit de passer le pont, oui, et Béalu vient à notre rencontre ; si au bout de chaque conte le pied nous manque, c'est que la chute fait partie du jeu, est le jeu. La chute, c'est le petit silence qui ponctue chaque phrase musicale, qui nous permet de reprendre notre souffle. Et la réflexion peut attendre.

 

     Les Mémoires de l'ombre, en tout cas, horripileront certains, enchanteront beaucoup d'autres, dont je suis ; ce qui est sûr, c'est que cette musique ne peut laisser place à la demi-mesure. Aussi, pour prolonger encore le plaisir des doux rêveurs à qui je souhaite quelques entrées en songe sous ce porche, voici pour terminer quelques lignes encore (achevant le récit titré Le château), qui forment des accords dont la résonance peut englober, et définir, et résumer, le climat de l'œuvre tout entière.
     Bientôt, la poussière recouvrit les planchers de son tapis d'ouate grise et la végétation, débordant du jardin, envahit les hautes pièces abandonnées, dressant entre le monde et moi un écran de plantes sauvages au travers duquel je ne perçais qu'un secret passage. Et quand je pénétrais dans mon habitation il me semblait parfois rejoindre, hors du temps, le domaine habité par mon ombre.
     Merci, Marcel Béalu.

 

Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/8/1972
Fiction 224
Mise en ligne le : 17/3/2002

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