Paul of Perth, duc du Dragonshire, combattant le cercle de ténèbres qui broie la réalité et étrangle jusqu'à l'idée même du bien...
Dernier Frêne, l'homme-arbre qui parcourt un monde à l'heure du loup et porte en sa sève l'espoir d'une renaissance...
Darrell Jhune, qui a vu l'apocalypse dans les « douze dragons renversés » et doit réparer l'Erreur...
Ozzie, mutante et tueuse impitoyable, qui doit apprivoiser la mécanique des profondeurs pour enfin trouver sa place dans un univers au bord du gouffre...
Ismaël Kashoggi, missionnaire onusien chargé de recenser les tribus nomades de Mongolie pour la puissance extraterrestre Archonte et veut empêcher un génocide programmé...
Loki, le démon aux yeux de lumière, qui a provoqué le Ragnarok en libérant le monde de dieux moribonds, pâles reflets d'eux-mêmes...
Ils sont six, six pour six fins du monde.
Thomas Day a trente trois ans. Né et vivant à Paris, on lui doit une dizaine de romans, au Bélial', chez Mnémos, Denoël ou Gallimard, dont La Voie du Sabre (Folio SF), où l'on suit l'odyssée du rônin Miyamoto Musashi dans un Japon qui ne fut jamais, livre lauréat du prix Julia Verlanger auquel il a donné une suite, L'Homme qui voulait tuer l'Empereur, publiée dans la revue Bifrost.
« Accompagner Thomas Day n'est pas une épreuve innocente, mais la lumière froide qu'il jette sur notre époque nous montre pourtant le chemin de la rédemption. »
Thierry Hubert
1 - Avant-propos, pages 11 à 12, introduction 2 - Une forêt de cendres, pages 15 à 66, nouvelle 3 - A l'heure du loup, pages 69 à 89, nouvelle 4 - L'Erreur, pages 91 à 141, nouvelle 5 - La Mécanique des profondeurs, pages 143 à 183, nouvelle 6 - La Notion de génocide nécessaire, pages 185 à 246, nouvelle 7 - Démon aux yeux de lumière, pages 249 à 287, nouvelle
Critiques
Chroniquer un livre de Thomas Day publié au Bélial n'est pas exactement une partie de plaisir, surtout quand ladite chronique est destinée à Bifrost. Mais passées les premières inquiétudes, force est de constater que Sympathies for the devil — Redux est un excellent cru. Le rédacteur peut donc continuer sa route sans crainte pour ses dents, ce qui fera économiser de l'argent à la sécurité sociale et contribuera à maintenir le climat de paix et de sérénité qui caractérise la S-F francophone en général et les patrons de Bifrost en particulier.
Réédition du premier recueil de nouvelles de Thomas Day, Sympathies for the devil — Redux reprend l'essentiel de ses caractéristiques, avec quelques petits changements (suppression de la préface, ajout de deux textes, élimination d'un autre, illustrations de Guillaume Sorel, etc.) dont on ne pourra guère mesurer l'importance faute d'avoir lu la chose à l'époque. Passons.
Composé de six textes globalement assez différents dans leur forme comme dans leur fond (malgré la thématique commune de la fin du monde, au sens le plus large), Sympathies for the devil — Redux est probablement la meilleure manière d'aborder l'œuvre d'un auteur jugé outrancier, ultra violent et brutal. A la lecture des nouvelles, il apparaît pourtant que cette fureur sanglante est souvent motivée par une saine tendresse pour le genre humain, cachée, certes, mais bien présente, doublée d'un humour cynique constant et déjanté.
C'est d'ailleurs ce qui séduit le plus chez Thomas Day : cette manière toute bordélique (en apparence seulement, la construction des textes étant imparable) de présenter un monde en ruine, amoral, violent, machiste, manifestement désespérant, mais jamais vraiment sérieux. Lire, par exemple, que « La Notion de génocide nécessaire » est un texte abouti et humaniste fait doucement rigoler. Très moyenne exploration de l'univers intime d'un mandaté Onusien, cette nouvelle est certes humaniste, mais globalement faible et peu crédible, peuplée de personnages sommaires, de philosophie existentielle de comptoir, le tout dans un vague éloge du nomadisme, sans que jamais le sujet ne décolle. Réflexion faite, ce constat n'est pas étonnant : à côté des autres textes du recueil, « La Notion de génocide nécessaire » est un îlot de santé mentale et de calme au milieu d'un océan d'humeurs moites et odorantes. Reste que Thomas Day est justement à l'aise avec les humeurs, et c'est dans ce registre qu'il offre le meilleur de lui-même. Ainsi, « L'Erreur », sublime nouvelle qui réconcilie Dick et Thierry Paulin, dans une rocambolesque histoire aussi polardeuse que camée, pour un résultat non seulement magnifique, mais essentiellement parfait dans l'esthétique de l'immonde (on se souvient de Mme Bovary qui dégueule ses tripes après absorption du poison, Flaubert ayant prouvé le premier que de l'horreur pouvait naître la beauté, du moins en littérature). Plus loin, « Le Démon aux yeux de lumière » démontre qu'efficacité narrative, inventivité délirante et intelligence stylistique peuvent s'allier à l'humour le plus vachard, pour un récit qui propose une vision radicalement nouvelle de nos bons vieux démons.
Inutile de résumer les six textes qui forment un recueil bien séduisant. Autant oublier « A l'heure du loup », passer directement aux autres et ricaner d'un air sardonique en bonne intelligence avec l'auteur. Oui, Sympathies for the devil — Redux est assurément un livre à lire, mais c'est surtout un livre à rire, antagonisme de façade pour une sincère inquiétude quant à l'état général du monde et de l'abominable somme de petites lâchetés qu'il implique.
Quatre ans après sa publication, le premier recueil de Thomas Day fait peau neuve. L'enlumineur originel,Vincent Froissard, est remplacé par Guillaume Sorel ; les commentaires de l'auteur (souvent dispensables) ont disparu, comme la préface d'Olivier Girard, supplantée par un avant-propos où l'on apprend que les textes ont été revus en profondeur — ce que le lecteur attentif constatera sans peine — ; enfin, le plus faible récit de la précédente édition, Cette année-là, l'hiver commença un 22 novembre..., a cédé sa place à deux nouveaux textes : À l'heure du loup et La Mécanique des profondeurs.
Sympathies for the devil — redux est un précipité de la littérature excessive de Thomas Day. Ultraviolence, sexe débridé et références en pagaille (musique, cinéma, romans...) tissent une toile de fond apocalyptique à ces six nouvelles hautes en couleur. De la noirceur un peu maladroite d'Une forêt de cendres (dans une Europe décadente, le sanguinaire duc de Penh exécute un nouveau contrat) au road-movie foutraque de Démon aux yeux de lumière (la dernière virée d'un démon baiseur et psychopathe), Thomas Day montre qu'il sait jouer sur des registres variés avec un égal talent. Mais à la déglingue futuriste et vaguement burroughsienne de L'Erreur, et à l'univers aquatique et suburbain de La Mécanique des profondeurs, on peut préférer la poésie de À l'heure du loup ou la touchante maturité de La Notion de génocide nécessaire. C'est dans ce dernier texte qu'éclate le potentiel d'un auteur qui dévoile enfin ses cartes. Day se déleste de son attirail trash habituel — geysers de sang, de sperme et de drogues diverses — et de son attachement aux codes du noir ou de la fantasy pour s'intéresser au monde des nomades (ici, en Mongolie), menacé par les velléités néocolonialistes d'une civilisation dominante — ironiquement symbolisées ici par les exigences économiques d'extraterrestres impérialistes. Mais l'intérêt réside plutôt dans les relations amoureuses des personnages : du crépuscule d'un couple que seule l'existence d'un enfant maintient en vie artificielle, à la naissance d'un amour cimenté par une authentique communauté de valeurs, nous ne pouvons qu'être bouleversés par cette cinétique des sentiments, si rare en science-fiction. L'osmose entre un contexte (exotique, politique), un style (apaisé, mais qui n'a rien perdu de sa vivacité) et une sensibilité insoupçonnée (qui n'apparaissait, dans ses autres textes, que sous une forme exubérante ou atrophiée) est telle que Notion de génocide nécessaire reste à ce jour le plus beau texte de Thomas Day, celui où s'exprime le mieux la complexité d'un auteur dont les outrances apparaissent tantôt comme une vaine posture, tantôt comme un leurre.
Le reste du recueil ne manque ni d'attrait ni d'efficacité mais souligne surtout, par comparaison, les promesses manquées d'un Thomas Day dont on tarde à lire les chefs d'œuvres espérés et qui aurait tout à gagner à tomber son masque d'épouvantail de la SF française. Si La Voie du sabreavait séduit par son appropriation très personnelle d'un univers atypique pour qui n'est pas familier des histoires de samouraïs, et si L'Instinct de l'équarrisseur, sans être inoubliable, procurait un grand plaisir de lecture, on attend toujours le big one, le roman qui saura réconcilier l'œuvre intéressante mais inaboutie de l'auteur et les exigences — qu'il convient par ailleurs de saluer — du critique (car Thomas Day, faut-il le rappeler, n'est autre que l'alter ego de Gilles Dumay, rédacteur chez nos confrères de Bifrost — parfois sous d'autres noms d'emprunt — et directeur de la collection Lunes d'encres de Denoël).
Il est peu d’exercices aussi risqués que de revenir, vingt ans après, sur des textes qui vous avaient filé une vraie claque. Souvent, en effet, le souvenir de la claque s’avère plus puissant que le texte lui-même, qui a pris vingt ans. Comme le critique, bizarrement. Et comme l’auteur, dont il connaît le parcours ultérieur. Quoi de commun entre le gamin encore dans la vingtaine, le Thomas Day presque débutant qui s’apprêtait à tout casser, et l’auteur plus que confirmé que Bifrost honore de ce numéro spécial ?
Mais le risque paye parfois : Sympathies for the Devil n’a pas pris une ride. Si vous aviez lu ces textes à leur sortie, relisez-les, ils le méritent. Et si vous avez la chance de les avoir encore à découvrir – précipitez-vous, c’est toujours de l’excellente came.
Sympathies for the Devil, en l’an 2000, c’est un recueil de cinq textes : « Une forêt de cendres », « L’Erreur », « Cette année-là, l’hiver commença le 22 novembre », « La Notion de génocide nécessaire » et « Démon aux yeux de lumière » ; une seconde édition, dite « Redux », remplaçant le plus classique « Cette année-là… » par deux autres nouvelles : « À l’heure du loup » et « La Mécanique des profondeurs », et remaniant légèrement les autres textes, est parue en 2004.
Au-delà de la référence aux Rolling Stones, amplement justifiée – le rock est omniprésent, de même que la drogue, le sang, le sperme, le feu… – le titre, s’il est superbe, s’avère trompeur : ce n’est pas tant de sympathie qu’il s’agit, que d’empathie. « J’ai toujours eu une haine pathologique de la réussite, et une tendresse particulière pour les champions de l’échec », fait dire Thomas Day à l’un de ses personnages. Le moindre des paradoxes n’est pas que cette tendresse soit bien présente, quoique souvent pudiquement dissimulée sous une débauche de brutalité, chez des personnages au profond desquels on pressent parfois comme une vie intérieure étonnamment limpide.
Il serait vain de coller des étiquettes sur les nouvelles de ce recueil. On y croise des démons – évidemment – et des dieux, des dragons, des reines et des ducs, des méchants à la Pulp Fiction, des extraterrestres, de la technologie, des vampires et même – c’est dire – des fonctionnaires courageux. Fantastique, fantasy, fantasy urbaine, high fantasy, histoire secrète, science-fiction ? Oui, tout ça. À la fois. Tout ce qu’il fallait, en l’an 2000, pour qualifier un jeune auteur français inclassable mais puissamment original et incroyablement prometteur. Et, en 2020, pour ne pas s’étonner que la plupart de ces promesses aient été tenues.
La plupart. Parce que relire Sympathies for the Devil, c’est aussi reprendre en pleine poire « La Notion de génocide nécessaire ». De la SF de classe mondiale. (On se demande d’ailleurs bien pourquoi ce texte n’a jamais été traduit…)
Putain, Gilles, qu’est-ce que tu attends pour te lâcher !
Éric PICHOLLE Première parution : 1/10/2020 Bifrost 100 Mise en ligne le : 28/4/2024
“ Si Thomas Day suscite de telles réactions – de l'enthousiasme total à la répulsion quasi viscérale – c'est qu'il est lui-même un écrivain excessif, encombrant, dérangeant, engagé (enragé ?) et, en définitive sans compromission. Et s'il me fallait résumer son œuvre en un mot, ce serait sans conteste par celui-ci : violence. ”
C'est ainsi qu'Olivier Girard introduit ce recueil de cinq nouvelles : nous voici prévenus... Mais jugeons par nous-mêmes pour savoir dans quel camp nous ranger : celui des enthousiastes, ou celui des allergiques ?
Une forêt de cendres est le premier texte publié par Thomas Day, tout du moins sous ce pseudonyme. Dans un univers décadent de fin du monde, il met en scène Paul of Perth, duc du Dragonshire, un personnage violent, cruel et impitoyable, convoqué par sa Reine pour accomplir un meurtre.
L'auteur considère ce texte comme son préféré, pour des raisons sans doute sentimentales. Mais si le décor d'un Londres envahi par une végétation proliférante est séduisant, si l'ambiance oppressante est bien rendue, si le rythme est énergique, l'écriture manque en revanche un peu de naturel, l'intrigue – basée sur le thème du double –, demeure assez classique, et la fin est trop théâtrale... Le lecteur se laisse ainsi porter par le récit, mais sans y adhérer pleinement
L'erreur est tout autre chose. Dans un futur proche, Big Mama est une sorte de maffieux qui s'enrichit avec une gazette voyeuriste qui relate les meurtres les plus odieux. Darrell Jhune va faire son entrée dans le palmarès du journal avec une médaille de bronze, ce qui n'est déjà pas si mal. Mais il a commis une erreur... Sous l'emprise d'une drogue, il va devenir William Lee, un Mr Hyde schizophrène qui pourra peut-être obtenir la médaille d'or.
Cet étonnant récit, paru dans Escales sur l'horizon, semble avoir été mal accueilli. On comprend que l'on puisse adorer ou détester ce texte inhabituel et déroutant. L'écriture est cette fois incisive et l'intrigue curieusement structurée. L'atmosphère est malsaine et l'ambiguïté règne, obligeant le lecteur à compléter les morceaux manquants. Nul doute : c'est un texte fort, un de ces textes pernicieux qui continue à vous travailler longtemps après l'avoir fini, comme si quelque chose vous échappait encore. Enthousiasmant, il est vrai.
Cette année-là, l'hiver commença un 22 novembre...est une nouvelle évidemment moins ambitieuse. Ecrite pour l'anthologie Invasions 99, elle conte l'histoire un peu tordue d'une invasion extraterrestre insidieuse. Day joue ici avec les clichés paranoïaques de l'Amérique, en jetant ce pauvre JFK – dont l'assassinat est devenu l'un des mythes du XXème siècle – au milieu d'un scénario déjanté à la X-files.
L'auteur avoue avoir voulu écrire une “ Howard Waldrop story ”. Astucieusement, le personnage au centre du récit est un extraterrestre, et la trame – la cavale et la mort de trois meurtriers – appartient davantage au roman noir. Ces décalages font tout l'intérêt de ce texte amusant, à la hauteur de ses ambitions.
Dans La notion de génocide nécessaire, des extraterrestres – les Archontes – sont venus sur Terre et sont prêts à faire bénéficier l'humanité de tout leur savoir, en échange d'un impôt impérativement versé par chaque humain. Kashoggi est chargé par l'ONU de trouver un moyen de recenser et de contrôler les Mongols, ces nomades pour qui la liberté absolue est un art de vivre.
Au-delà de la force de son titre, cette nouvelle est incomparablement la plus aboutie du recueil. L'histoire se déroule entièrement en Mongolie, et dans ce décor, Day se révèle un tout autre écrivain, beaucoup plus sensible que les textes précédents ne le laissent supposer. Les personnages sont humains et attachants, et leurs relations amoureuses finalement assez pudiques. On ressent avec acuité l'attrait des grands espaces et la fierté du peuple mongol, qui choisit de défendre son mode de vie ancestral, sans toutefois refuser les avantages de la modernité. Kashoggi y apprend à (re)vivre, mais il devra rapidement trouver une solution acceptable s'il veut éviter un génocide nécessaire. Un très beau texte.
Démon aux yeux de lumière est la seule nouvelle inédite. Elle nous invite à suivre la balade du démon Loki sur une Terre embrasée, en Porsche ou sur le dos d'un dragon. Rock et apocalypse font toujours bon ménage, mais là ça déménage méchamment, car Loki est un drôle de gaillard. Mais il rencontrera Cybèle...
On imagine assez bien Day se prendre pour Loki et souhaiter tout casser rien que pour rigoler. Mais en profondeur, l'amour sommeille, et la dérive jouissive se transforme alors en rédemption. Une fable survoltée qui montre qu'il est finalement difficile de ne pas s'attacher à cette foutue humanité !
Ces cinq textes sont finalement très différents, donnant un aperçu fort convaincant des talents de l'auteur, dont on peut penser que le meilleur reste à venir. Day utilise des registres variés et affirme son choix d'une littérature fusionnelle, où les genres n'ont plus de frontières.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la violence qui paraît être au cœur de son œuvre. Certes, il existe une violence de surface, d'ailleurs volontiers outrée, comme destinée à choquer ; certes, les érections puissantes et les jets d'urine reviennent comme des leitmotivs, comme des offrandes même, puisque pour l'auteur : “ Il n'y a qu'un seul Dieu : le sexe féminin. ” ; certes, la fin du monde est omniprésente, comme s'il fallait tout effacer une bonne fois pour toutes... C'est là le Day démoniaque, qui évacue sans doute son désespoir.
Mais ces histoires tournent finalement autour du masque, de la dualité ou de la transformation. Paul of Perth se sacrifie pour un double, Darrel Jhune change de personnalité, l'ET immortel s'abandonne à la mort, Kashoggi se découvre une âme de Mongol, Loki devient humain... Chaque personnage se transforme, de même qu'on imagine que le véritable Day est celui qui s'exprime davantage dans La notion de génocide nécessaire, un Day dont la fausse violence cache sans doute bien autre chose.
Un recueil prenant, vivant, sans doute parfois excessif, mais jamais ordinaire ni banal. Oui, en fin de compte, rangeons-nous dans le camp des enthousiastes !