BÉLIAL' Dépôt légal : février 2003 Première édition Roman, 136 pages, catégorie / prix : 10 € ISBN : 2-84344-046-7 Genre : Hors Genre
Quatrième de couverture
« Il n'y a jamais de motifs aux enfers qu'on se forge. Seulement des prétextes. »
1945.
La porte d'une triste masure se referme sur une fratrie marquée par le malheur et la honte. Bernadette et Suzie ont été tondues pour avoir couché avec l'occupant. Tondues et violées sur la place du village... Putains ! Putains ! Guillaume, le plus jeune, muré dans sa terreur, parle si peu qu'aux yeux de tous il n'est qu'un attardé doublé d'un déserteur. Quant à l'aîné, Clément, il a beau se poser en héros, on devine sous la patine du mensonge une vérité aux couleurs plus troubles...
Et c'est lui, Clément, violent et paranoïaque, qui prend la décision de cloîtrer son petit monde derrière les volets de cette cabane insalubre. Car il faut se protéger des autres, de l'extérieur, de ceux qui ne crient qu'un seul mot en cette période exultante de l'après-guerre : vengeance ! Ainsi débutent quarante années d'un enfermement total, quarante années pour libérer le monstre qui sommeille en chacun, quarante années d'enfer clos...
Depuis la sortie de son premier roman, L'Abbé X en 1984, Claude Ecken a publié une vingtaine d'ouvrages, romans, livres illustrés ou même bandes dessinées. Nouvelliste rare, couronné par le prix Rosny Aîné en 2001, il a publié la plupart de ses textes récents dans la revue Bifrost ou les anthologies du Fleuve Noir et des éditions du Bélial' — chez qui on retrouvera bientôt son premier recueil.
Claude Ecken a quarante-neuf ans et vit à Béziers. Enfer clos, livre coup de poing s'il en est, roman d'une maîtrise psychologique époustouflante inspiré d'un fait divers inconcevable, démonte avec lucidité les mécanismes du vernis social sous lequel gronde la bestialité. Terrifiant.
Critiques
C’est sans en connaître le contenu que j’ai ouvert cet Enfer Clos, partant avec un a priori très favorable après avoir lu l’excellent recueil Le Monde tous droits réservés du même auteur.
En 1945, Bernadette et Suzy, rasées pour avoir couché avec l’allemand s’enferment dans une vieille ferme en compagnie de Guillaume, déserteur, et de Clément combattant de la France et détrousseur de cadavres. Les quatre frères et sœurs vont se cloîtrer tous volets fermés plutôt que d’affronter le déshonneur de leur famille.
La quatrième de couverture précise qu'il s'agit d'un livre coup de poing, il n'y a pas tromperie. Et c'est en ressentant un malaise certain que l'on s'arrache de cette lecture.
Dès le début on sait, on ressent, que la suite ne sera qu'horreur. Le pire est à venir, et pourtant on continue de lire en anticipant ce qui va suivre, et rien de ce que nous pouvons imaginer ne nous sera épargné. Alors pourquoi, par quel mécanisme, reste-t-on ainsi accroché à la vie de cette fratrie qui va subir une descente toujours plus profonde en enfer ?
La qualité de la prose est évidemment pour beaucoup dans cette plongée, mais ne suffit pas à l'expliquer. Nos instincts aussi, mais surtout ce sentiment rassurant, qui nous fait croire que, bien sûr, nous sommes au dessus de cela, nous ...
Finalement, le plus dérangeant réside probablement dans l’identification qui peut se faire avec certains protagonistes (en particulier Bernadette et Guillaume). Ecken réussit le tour de force qui consiste à nous rendre humains des êtres qui explorent toute leur animalité et se comportent comme des monstres.
Un livre à ne pas placer entre toutes les mains et qui pour sûr ne peut laisser indifférent.
« Qu'est-ce qu'il y a sous l'homme, sous la bête ? » (p.132)
1945. Quatre personnages, deux hommes et deux femmes, tous frères et sœurs, s'enferment définitivement dans une cabane isolée. Un lâche, un pilleur et deux catins, qui décident de se cacher probablement autant par défi que par honte. Dès lors, l'horreur s'installe : violences, viols, incestes, meurtres, infanticide, cannibalisme... Il serait faux de dire que les quatre protagonistes se comportent comme des bêtes car seul l'homme a autant d'imagination dans l'abjection et met autant d'entrain à s'avilir.
La quatrième de couverture annonce qu'il s'agit d'un livre « coup de poing ». Certes. Mais si certains coups sont destinés à faire réagir ou à remettre les idées en place, on se demande si celui-ci a une autre vocation que de mettre le lecteur à terre, sonné une fois pour toutes... Car Enfer clos suscite un véritable malaise, qui tient sans doute pour une bonne part à la sensation de voyeurisme qui s'impose au lecteur. En effet, une fois admis que les personnages ne vont reculer devant aucune monstruosité, quel plaisir malsain peut nous pousser à poursuivre la lecture ?
Sans doute la quête d'un sens à l'horreur. Or Ecken ne donne pas la moindre clé : « Comment avaient-ils réussi à descendre si bas sur l'échelle de l'humanité ? Il n'y avait pas d'explication. » (p.109) Pas de motifs, seulement des prétextes. La brutalité de leur père est-elle une excuse suffisante ? La honte et la culpabilité suffisent-elles à les disculper ? Assurément non. Il n'y a aucun espoir de rédemption, ni même aucune trace de remords. En se retirant du monde, les « héros » ont oublié toute notion de bien et de mal, confondu plaisir et souffrance...
Alors, quelle conclusion en tirer ? Que, pour contredire le Sartre de Huis clos, l'enfer ce n'est pas les autres, mais surtout soi-même ? Probablement pas. Aucune morale valable ne peut voir le jour face à l'abomination. Comme le signale la dernière phrase, il n'y a rien d'autre à faire qu'à tourner la page, même si c'est difficile.
Mais pourquoi parler d'Enfer clos sur nooSFere ? Ce roman ne contient manifestement aucun élément surnaturel ni aucune spéculation science-fictive. Il s'agit de littérature générale, que l'on pourrait à la rigueur qualifier de « gore » vu qu'aucun détail sordide ne nous est épargné. Mais l'auteur est un écrivain de SF, l'éditeur ne publie habituellement que des œuvres ressortissant de l'Imaginaire et — à sa manière — le roman interroge sur ce qu'est l'humain et ce qu'est le mal... Ces trois raisons, un peu limites, ont suffi à présenter ce livre remarquable par son efficacité narrative, même s'il ne conviendra sans doute pas à certains lecteurs plus avides de « merveilleux » que d'une aride et incompréhensible violence.