« Le roman n'est pas un prolongement, mais une explosion de son théâtre », cite la quatrième de couverture, comme pour donner le ton. Eh bien non, pas du tout. La Fille de King Kong serait même aux antipodes des résonances politiques, de la violence exacerbée, de l'autopsie familiale et de ces motifs sanguinolents auxquels nous ont « habitué » le théâtre du petit espagnol, et sa filmographie.
De même, la connivence que suppose le titre de ce roman-ci avec l'imagerie de Schoedsack et Cooper, et qu'entretient d'ailleurs l'illustration-collage signée Arrabal, avec beauté et grasse sur fond de buildings, doit se dénoncer comme un autre mensonge. En effet, point de rhétorique primaire opposant belle et bête pour le plaisir des rustres, dans ce livre serein — au moins de ton — , étonnamment feutré, et comme émerveillé, d'une fille plongée dans l'absurde de l'existence. La Fille de Cervantès aurait mieux convenu à cette enfilade de chapitres ultra-courts, monologues d'une orpheline évadée de son couvent et faisant les ménages, et se laissant séduire, et couchant sans plaisir avec le pâle Martial qui oeuvre à la ville comme souteneur brillant, jusqu'à le mettre à mort...
L'histoire se passe maintenant, mais la jeune fille se trouve ailleurs, dans l'admiration folle qu'elle voue au créateur de sa mythologie intime, dans la complicité qu'elle s'invente avec Miguel de Cervantès. Cent chapitres pour un livre de 257 pages, tous construits sur un moule identique : une appréhension lâche de la réalité et la conscience d'accompagner les instants forts, les passions et les peines de l'auteur du Quichotte. De glissade en dérive au travers des siècles, l'intrigue progresse en évoquant la manière presque sexuelle dont une vrille, par à coups réguliers, pénètrerait un mur de carton-pâte, un pan de décor. Un décor... Ce doit être ainsi que la narratrice, et qu'Arrabal sans doute — lui qui se targue de n'avoir fait l'amour, jamais, avec la moindre femme — , voient la vie et les êtres actuels. Ce faisant, ils prouvent que l'imagination et le plaisir du texte constituent la meilleure machinerie à remonter le temps.
Alain DARTEVELLE
Première parution : 1/9/1988 dans Fiction 400
Mise en ligne le : 19/11/2002