Si Claude Seignolle est célèbre, c'est surtout en tant que praticien d'un fantastique qualifié de villageois, et que spécialiste des pratiques occultes. Beaucoup de ses contes, c'est vrai, puisent, dans le fond de superstitions du milieu paysan, où la survie du Malin est peut-être plus aisée qu'en ville Et des livres comme Le Diable dans la tradition populaire, qui recense ces croyances en domaine de Guyenne, ont pu le faire passer pour un ethnologue transposant en fiction des traditions accréditées, comme un adaptateur plutôt qu'un inventeur.
Or, tout un pan de la création de Seignolle se démarque clairement de cette thématique, et tend à fonder un fantastique spécifiquement urbain. A cette veine se rattachent les quinze récits regroupés sous le titre générique de La Nuit des Halles. Chacune des intrigues s'organise autour du quartier parisien de l'Eglise Saint-Merri, de l'entrelacs de rues qui occupaient l'espace de l'actuel Centre Beaubourg. Un décor populaire, ou des maisons sans plus d'âge n'allaient pas, parfois, sans évoquer l'ambiance d'une Cour des Miracles.
Ici intervient l'art magique de Seignolle : endormir notre méfiance en nous donnant des repères, en nous promenant dans des lieux reconnaissables, puis les transfigurer par l'irruption soudaine d'un démoniaque issu de la nuit des temps, immémorialement niché autour de ces Halles. Sans que, pour autant, la réalité de la ville en soit occultée. Au début des années 60, la plupart de ces récits avaient été publiés dans la fameuse collection fantastique des Editions Marabout, sous le titre d'Histoires maléfiques, agrémentés d'une préface où Jean Ray notait très justement qu'« en plein fantastique, Seignolle fait du document », et qu'« on se trouve soudain devant les faces réelles de la vie noire, qu'à tort ou à raison on veut infernales. » Ainsi, avec Seignolle, la ville acquiert en propre des pouvoirs mauvais, et est bien près de remplacer le Diable.
Alain DARTEVELLE
Première parution : 1/6/1988 dans Fiction 398
Mise en ligne le : 19/11/2002