Au détour d'un étal de libraire, découvrir plusieurs volumes d'une nouvelle collection, lancée par un éditeur qui n'a jamais œuvré dans la SF. Et repérer soudain le nom de Brian Aldiss... Léger frisson, de surprise mêlée de plaisir, qu'accentuent deux autres constatations : Aldiss est, sans ambages, présenté comme l'un des plus grands auteurs anglais de science-fiction (Belfond a le courage de ses choix), et la collection mise sur des textes d'ampleur moyenne, des micro-romans comme elle les appelle. Or la novella — exercice préféré de beaucoup d'auteurs SF — offre précisément bien des joyaux de ce genre littéraire. Voici donc, se met-on à espérer, voici que de la vraie SF, pure et dure, trouverait enfin une place hors du ghetto d'un rayonnage spécialisé.
A la lecture de Ruines, l'espoir de l'amateur doit pourtant refluer. Non, la vie erratique d'Hugh Billing, à la recherche de ses origines entre la netteté aseptisée des States et la déglingue de son Angleterre natale, n'est pas marquée au coin de la science-fiction. Il s'agit cependant d'un fabuleux roman où la maîtrise d'Aldiss se résume et éclate, tout à la fois. En quatre-vingt pages, il réussit à traduire la durée de toute une existence, comme à restituer de façon crédible l'atmosphère des années 70, et à donner une vraisemblance psychologique extrême à un être qui, c'est le comble, ne voit pas clair en lui.
Un roman excellent, au-delà des classifications. Qualité qui n'exclut pas quelques réflexions d'ordre science-fictionnel, puisque Aldiss offre l'exemple d'un écrivain semblant avoir épuisé les virtualités du genre qui a fait sa renommée. Entre les débuts de Croisière sans escale (la novelette Won-stop, 1955) et l'ample trilogie d'Helliconia, il aura exploré, les accompagnant ou les précédant, toutes les inflexions thématiques de la SF, en même temps qu'il en expérimentait les possibilités stylistiques. Ruines constituerait l'ultime étape d'un processus : une rupture par saturation. Plaque tournante d'une évolution complexe, alliant le constat d'un imaginaire SF rattrapé par le présent, au désir de rompre avec une célébrité marginale. A valeur égale, le choix d'Aldiss s'apparenterait à celui plus encensé de Ballard (L'Empire du Soleil, bien sûr, et son Jardin de la Création). Retour au mainstream littéraire auquel aspirent aussi pas mal de français (voir les récentes publications hors SF de Curval, Jeury, Pelot) qui n'augure rien de bon pour l'avenir du genre. Voyons cela comme un postulat.
Encore que, si l'on en revient à Ruines, quelques ferments SF subsisteraient, ainsi que des traits proprement fantastiques (ces sonneries de trompettes que perçoit un homme sur le chemin de la folie, apocalypse mentale). En effet, l'histoire d'Hugh Billing est aussi celle de la subordination consciente à un cauchemar, un fantasme de désastre intime : mise en fiction, saisie sur le vif de cette science humaine qu'est la psychologie des profondeurs.
Alain DARTEVELLE
Première parution : 1/12/1988 dans Fiction 403
Mise en ligne le : 19/11/2002