Le vampire trouve-t-il encore sa place dans la mythologie de cette fin de siède, ou devrait-on le ranger définitivement, quoique avec nostalgie, parmi d'autres pantins et accessoires du grand-guignol ? Il y a deux ans, un excellent petit livre d'Armand Farrachi (Un amour de Dracula, Ed. Bernard Barrault) faisait pencher pour la seconde option, par la saine ironie avec laquelle il tournait en bourrique le saigneur de la nuit, ce séducteur à la dent dure... — Suffit-il donc d'en rire ? Je doute pour ma part que les effets de cape ou les yeux blancs du grand transylvain poussiéreux puissent encore déclencher d'irrépressibles frissons de terreur, ou de sensualité trouble... Il n'en est pas moins vrai qu'entre la franche dérision et l'adhésion totale à la légende doit exister un moyen terme, dont Le Hibou de l'espagnol Joan Perucho (né en 1920) offre une belle illustration.

     Il faut dire avant tout que Perucho est un écrivain d'une culture et d'une maîtrise stylistique à couper le souffle. Chacun de ses chapitres décortique quelque pan du savoir humain, avec des notations vraies qui d'ordinaire manquent aux encyclopédies. Sans pour autant devoir le comparer à Borges comme le fait un peu vite le prière d'insérer — car notre homme a malgré tout la manie de trop vouloir faire savant, il tend à déverser des marées de détails superfétatoires là où Borges gardait une souveraine limpidité et le sens de l'essentiel — , Perucho a entrepris et réussi la description intime d'un homme de lettres et de science, sous le prétexte d'une aventure, il affecte le recul amusé de qui sait tout et ne croit que ce qu'il veut, une façon qui me rappelle assez l'A rebours de Joris-Karl Huysmans. Et précisément, entre autres splendeurs invérifiables — comme le diable et le chant sublime de l'aurea picuda — , Antoine de Montpalau, le scrupuleux porte-parole de Perucho, a décidé de croire à la survivance d'Onofre de Dip, chevalier devenu vampire.

     Parmi les convulsions de la guerre civile agitant Carliestes et libéraux, la poursuite du Dip est celle d'un caprice, celui d'un naturaliste qui mène à sa façon, enjouée et tatillonne, le vieux combat entre science pure et déraison. Faut-il ou non classer l'avutarda geminis parmi les mammifères ? Faut-il, exorcisant le Dip, refermer à jamais la crypte où il repose ? Ce sont là des questions à laquelle Le Hibou ne répond ni par oui, ni par non. Attitude qui procède d'un doute fondamental, celui des véritables hommes de science. Attitude que j'aimerais comparer aux options de Mircea Eliade, dont Christian Bourgois, en 10/18, va nous publier Mademoiselle Christina et Le Serpent, deux autres romans vampiriques...