Vers le milieu du dix-neuvième siècle, un navire d'immigrants irlandais a fait naufrage sur une île au large du Maine. Les passagers étaient pour l'essentiel des enfants, leurs parents étant morts de diverses maladies durant le voyage. Les pêcheurs de l'île ont réussi à sauver tout le monde, hormis une petite fille, morte peu après avoir été ramenée à terre.
Durant des décennies, les irlandais ont imposé leur empreinte à cette île, baptisée en leur honneur Tiranogue (qui, dans sa forme gaélique, signifie « île de l'éternelle jeunesse”). C'est dans ce lieu calme, presque hors du temps, qu'Oisin, un artiste solitaire, a choisi de s'établir. Il y vit dans le souvenir de sa sœur jumelle, morte longtemps auparavant. Doué d'un “sixième sens”, il voit régulièrement les fantômes de personnes décédées. Aussi n'est-il pas surpris lorsqu'un soir, il s'aperçoit qu'une fillette fantôme, celle-là même qui est morte lors du naufrage, fait irruption chez lui. Oisin va renoncer à sa solitude pour s'occuper d'Aisling. Ce faisant, chacun découvrira des choses sur lui-même et sur l'autre. Mais comment expliquer aux habitants de l'île qui est vraiment la fillette ? Et, surtout, comment leur expliquer qu'elle grandit beaucoup plus vite que n'importe qui, devenant en l'espace de quelques mois une adolescente ?
L'éditeur signale dans sa présentation que les droits cinéma du roman ont été vendus à la maison de production de Luc Besson. A la lecture, on comprend parfaitement ce qui a attiré le rusé réalisateur et producteur : La petite fille fantôme surfe sur la vague très présente des fantômes du grand écran. La mode fut initiée par Le sixième sens, elle s'est poursuivie avec Les autres, et L'échine du diable actuellement. Ici, pas de mystère, on connaît dès les premières pages le statut d'Aisling, et le don d'Oisin est également dévoilé rapidement. Du coup, le principal intérêt de ce livre est la description minutieuse de personnages attachants dans leur solitude. L'auteur construit leur histoire à grand renfort de flash-backs afin de montrer ce qui les a conduits là : notamment, pourquoi Aisling se trouvait sur le navire naufragé, et pourquoi Oisin fuit ainsi le monde. Au-delà des siècles, leurs deux vies se répondent, ne serait-ce que parce que chacun fut sous la protection d'un être proche : grand frère pour la fillette, sœur jumelle pour lui. Et l'un a le don de voir ce qu'est devenu l'autre, et que ne voit pas le commun des mortels : un fantôme.
En fait, l'histoire de leur rencontre sur Tiranogue intéresse peu l'auteur, de telle sorte que les séquences passées prennent progressivement le pas sur celles du présent. L'intrigue s'en ressent quelque peu, mais on avait compris dès le départ qu'il s'agissait là plutôt d'un roman d'apprentissage — pour Aisling, qui en fut privée durant sa “ première ” vie — ou de passage — pour Oisin — que d'un roman d'action. Et, bien sûr, l'autre ressort de l'intrigue, à savoir la croissance accélérée de “ la ” fantôme, prend peu à peu de l'importance : de fillette, elle devient adolescente torturée, puis femme habile à user de ses charmes aux dépens d'Oisin. Du coup, la relation de père à fille se transforme en un jeu de la séduction auquel l'artiste ne veut pas succomber. Cette modification des rapports permet à l'auteur d'approfondir sa peinture de deux êtres en quête de leur identité et de leur légitimité.
Un roman subtil et délicat, empreint de fatalisme mais aussi d'espérance.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 1/6/2002 nooSFere